L’Eglise Réformée dans le Cambrésis

Une communauté de 450 familles

(par Jean-Yves Nervet)

1685-1985… Trois siècles ont passé depuis la révocation de l'Edit de Nantes qui, pendant 87 ans avait garanti les droits civiques des Huguenots, leur avait accordé des places de sûreté et le plein exercice du culte protestant.

Sans songer célébrer cette tragique décision de Louis XIV qui entraîna l’exil de plus de deux cent mille Protestants, partons à la découverte du protestantisme dans le Cambrésis, ou plutôt des fidèles de l’Eglise Réformée de France. Ceux-ci constituent avec les Luthériens (implantés plus particulièrement en Alsace) les deux grandes branches du protestantisme en France, à côté des petites églises Baptistes, Pentecôtiste, Advantiste …, qui se distinguent par une insistance sur la conversion personnelle.

Leur origine remonte à la Réforme elle-même. La mère de Jean Calvin, Jehanne Lefranc, était Cambrésienne.

La condamnation au billot de Sohier, en 1541, sur la place de Cambrai, fait remonter sa conversion avant même celle de Calvin.


Le 24 avril 1567 Le Cateau-Cambrésis, commune protestante, tombe aux mains des forces de répression de Philippe II d'Espagne. A partir de là, les réformés toujours interdits de séjour continuent à se transmettre la Bible et à se rencontrer au Catelet, forteresse d'un prince français, aux temples de Lehaucourt, d'Audencourt, de Tournai, dans des assemblées clandestines près de Selvigny.

Après l'édit de tolérance de 1787, dans les temples à Quiévy, Walincourt, Elincourt, Serain, Reumont, Caullery, Saulzoir, Rieux, Inchy, Caudry...

En fait, d'après M. Joël Blondiaux, protestant de Walincourt, passionné d'histoire, " Il suffit de prendre la carte du Cambrésis et de marquer les villages où la présence de réformés est attestée, pour voir qu'ils se situent sur un axe sud-ouest nord-est reliant Walincourt à Quiévy, et au-delà Saint-Quentin et Valenciennes. Il s'agit ni plus ni moins de la route des marchands du textile. distributeurs de matière première et de travail, protestants qui animaient l'industrie de la teinture, du filage et du tissage dans ces deux villes ".

Il y a encore 40 ans, le Cambrésis comptait 6 à 7 ministres de la parole et près de 15 lieux de culte pour 2550 fidèles. Aujourd'hui, deux pasteurs seulement, le pasteur Vion à Cambrai et le pasteur Le Monnier au Cateau sont au service de 450 familles, soit 1200 à 1300 personnes réparties sur six lieux de culte : à Cambrai, Walincourt, Caudry, Le Cateau, Quiévy, Bertry (2000 personnes si l'on ajoute les sympathisants).

Partout en France, les effectifs ont fondu. Complexe minoritaire ? Phénomène de déchristianisation, également sensible chez les catholiques? Victoire du plus grand parti de France, le parti de l'indifférence ?... Les explications sont multiples.

INFLUENCE

Le temps n'est plus de la haute société protestante, malgré de beaux restes. Il suffit de citer les Schlumberger. L'influence s'est également considérablement amoindrie. Elle reste cependant significative en regard de la faiblesse numérique. Se référer à Lionel Jospin, originaire de Bertry, aux Seydoux, originaires du Cateau dont on parle beaucoup aujourd'hui avec la 5° chaîne.

Des raisons historiques ont présidé à cette supériorité socio-économique des protestants par rapport à la moyenne française.

Etre protestant au temps de la Réforme, c'était d'abord lire la Bible. Donc savoir lire tout court, d'où une culture personnelle. C'était aussi faire preuve d'esprit critique pour comprendre sa foi, une disposition intellectuelle favorable à la réussite sociale. Etre protestant c'était aussi être victime de la répression. Les plus riches se sont exilés, les plus pauvres n'ont pas survécu. Seule une bourgeoisie a pu subsister. Etre protestant enfin, c'est faire partie d'une minorité qui, en tant que telle, développe la solidarité. Les répercussions intellectuelles, économiques, politiques et sociales ont suivi.

Aujourd'hui, les différences se sont atténuées, même si une tradition ancienne se perpétue. Les finances de l’ERF s'en ressentent. La fameuse " banque protestante " appartient largement au passé.

Actuellement, les ressources proviennent de deux sources : la cible, objectif fixé à chaque communauté en accord avec le conseil presbytéral. Elle est réglée sous forme de cotisation mensuelle relativement élevée (cela peut aller de 300 F à 10000 F par an, par exemple à Walincourt), et l'offrande aux cultes. Celle-ci est théoriquement une contribution à la solidarité (envoi de fonds à la Colombie par exemple, pour la catastrophe d'Armero) en pratique, elle sert aussi à boucler le budget du conseil presbytéral.

Par un système de péréquation, les régions les plus riches apportent leur contribution aux plus pauvres ; les communautés les plus aisées subviennent pour partie aux besoins des plus démunies, de sorte qu'il est possible de maintenir des pasteurs dans des paroisses qui théoriquement n'ont pas les moyens de s'en offrir. Malgré leur association, Cambrai et Walincourt ne couvrent que les 2/3 du coût de leur pasteur.

Reste la troisième voie, les dons des sympathisants.

SOMNOLENCE

" Oui, le temps fait son œuvre " dit Joël Blondiaux. " L'exode rural, la sécularisation et le complexe minoritaire grignotent peu à peu le petit troupeau réformé du Cambrésis ". Comment sortir de cette somnolence, de cette indifférence ? " Comment éviter que les paroisses ne se transforment en clubs bibliques du troisième âge " pour reprendre une expression féroce du " Monde ". Laissons conclure M. Blondiaux :

" Alors, nous retourner sur le passé, non plus pour nous glorifier ou réveiller la nostalgie d'un temps révolu, mais pour apprendre de nous-mêmes et des autres afin de vivre ensemble aujourd'hui une même espérance, celle du Christ ressuscité parmi nous, vaut la peine. La tolérance qu'ont obtenue avec tant de peine ceux qui nous ont précédés n'est alors qu'une étape. Il s’agit d’aller plus loin, de faire l’expérience commune du Christ vivant. "

DES STRUCTURES DEMOCRATIQUES

Le système presbytérien-synodal, qui régit la vie de l'Eglise Réformée, limite les structures hiérarchiques, respecte la démocratie, préserve du cléricalisme.

A la base, chaque Communauté élit en assemblée générale son conseil presbytéral, composé, suivant l'importance de la paroisse, de 6 à 30 personnes. Le pasteur en fait partie, au côté des laïcs. Il n'en est pas toujours le président.

Renouvelé par moitié tous les trois ans, le conseil presbytéral a autorité sur le plan local. Il gère la communauté, nomme le pasteur, prend des décisions aussi bien matérielles que spirituelles. Il est, en quelque sorte, le conseil d’administration de l'association cultuelle.

Il délègue ses représentants au synode régional, la structure supérieure. Parmi les huit régions qui composent la France protestante, le Cambrésis fait partie de Nord-Normandie. Chaque communauté y envoie une fois par an un pasteur et un laïc ; mais, comme plusieurs communautés sont amenées à se grouper pour bénéficier des services d’un pasteur, les synodes sont en général composés d'une majorité de laïcs. De la même façon, le synode élit un conseil régional, renouvelable lui aussi par moitié tous les trois ans.

Pour coiffer les régions se réunit une fois par an le synode national, qui comprend des délégués des huit régions. Il est ainsi l'émanation de fait, par sélections successives, des communautés de base. Il a autorité pour prendre des décisions sur les questions de fond. Le conseil national qui en est issu a pour mission de les faire exécuter.

Entre le conseil presbytéral et le conseil régional, existe encore une petite structure. le consistoire, qui regroupe les communautés Cambrésis, Hainaut, Thiérache. Il n'a aucun pouvoir. Il constitue seulement une facilité d'organisation du travail.

Sur proposition du conseil régional, ou bien. de lui-même s'il en connaît un, le conseil presbytéral nomme son pasteur, il est le maître chez lui.

Le conseil régional règle les questions de son secteur, pourvoit aux salaires des pasteurs, répercute au sommet.

Le conseil national fait appliquer les décisions, du synode. La boucle est bouclée, dans les deux sens. Les communautés de base par paliers successifs, à parité avec les pasteurs, prennent les grandes décisions au sein du synode national. Ce constant aller-retour entre la base et le sommet fait de l'ERF un modèle de démocratie.

Pour reprendre une image suggérée par le pasteur Vion, le système presbytérien synodal peut être défini ainsi : le synode national fixe les règles ; le conseil presbytéral joue son jeu à l'intérieur du cadre ainsi établi par l'ensemble de la communauté réformée.

Les conseillers presbytéraux de Caudry, Le Cateau, Quiévy et Bertry se réunissent en présence des pasteurs Vion et Le Monnier, une fois tous les deux mois et plus, en cas d’urgence.

LE ROLE DU PASTEUR

Laïc choisi par le conseil presbytéral pour ses connaissances, le pasteur est un homme qui a décidé, de se mettre à la disposition de l'Eglise, à plein temps. Il constitue un " plus " dans la communauté, mais n'est pas indispensable à son fonctionnement.

Dans le Cambrésis six communautés se sont regroupées pour avoir les services d'un pasteur.

Cambrai et Walincourt se sont associées, elles sont desservies par le pasteur Vion, un jeune titulaire d'une maîtrise de théologie, installé avec sa famille, 1 bis, rue du Marché-aux-Poissons à Cambrai, depuis le mois de septembre.

 

Le pasteur Vion, nouvellement arrivé dans le Cambrésis

Le Cateau, Bertry, Quiévy et Caudry sont, quant à elles, le secteur d'intervention du pasteur Le Monnier, installé au Cateau depuis septembre 1981.

Trois ans à Maubeuge, 12 ans en Normandie, 10 ans à Saint-Etienne, plus quelques années de remplacement, le pasteur Le Monnier a suivi la règle de l'ERF qui veut qu'on ne reste pas plus de 14 ans dans la même communauté, la moyenne étant de 10 ans, pour éviter la routine.

Après des études en lettres, puis une maîtrise de théologie, il a ainsi contribué à former de nombreux laïcs, tout en élevant sept enfants.

Le travail du pasteur consiste à célébrer les cultes, à animer les réunions liturgiques, à participer aux études bibliques, à enseigner aux jeunes à l'école biblique pour les enfants de 8 à 12 ans, au catéchisme pour ceux de 13 à 16 ans, à effectuer. des visites de personnes âgées, de malades.

Pour ce faire, il dispose d'un salaire de 5000 F par mois environ, assorti d'avantages en nature : logement, chauffage, réglés par le conseil régional de Nord-Normandie, qui reçoit en contre-partie les cotisations, (la cible) de toutes les communautés de sa dépendance.

En réalité, il ne peut, seul, assumer toutes ces tâches. A couse de la dispersion des lieux de culte, il est souvent aidé par des laïcs pourvus de délégation. Ainsi trois laïcs du Cambrésis disposent-ils d'une délégation pastorale pour célébrer la Sainte Cène; 17 peuvent présider un culte en l’absence du pasteur. De la même façon, l'école biblique, le catéchisme peuvent être animés par des laïcs.

En fait, le pasteur Le Monnier conçoit son rôle comme devant essentiellement contribuer à la formation des laïcs.

REPRESSION SEVERE AU CATEAU

A la diète d'Augsbourg, en septembre 1555, Charles Quint avait autorisé le protestantisme dans les états germaniques de son empire. La même année, il abdique et laisse l’Espagne et les Pays-Bas, dont font partie notre région, aux mains de son fils, Philippe II. Celui-ci, avec l'aide de l'armée espagnole, réprimera férocement les calvinistes et les partisans de la liberté.

" Le 24 mars 1607, Le Cateau-Cambrésis tombe aux mains des forces de répression de Philippe II. Jean Lesur est exécuté par la corde après avoir eu le poing coupé. Le 27 mars, ses adjoints, le clerc Antoine Bouxin, Antoine Steppen, dit Dieu, sont également pendus. Au total, on prononce vingt-sept condamnations à mort, deux cent trente-six bannissements avec confiscation des biens, cinquante-quatre bannissements simples. L'archevêque gracie huit condamnés à mort. La petite cité rebelle perd ainsi une importante partie de sa population, et les maisons et terres confisquées restent un certain temps sans preneur ". (Les Casseurs de l'été 1566. Hachette) "

Bien qu'il évoque la révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV, cent ans plus tard, ce texte de Saint Simon peut fort bien s'appliquer à notre région :

" Ce complot affreux qui dépeupla un quart du royaume, qui ruina son commerce, qui l'affaiblit dans toutes ses parties, qui le mit si longtemps au pillage public et avoué de l'armée, qui autorisa les tourments et les supplices dans lesquels ils firent réellement mourir tant d'innocents de tout sexe par milliers ; qui ruina un peuple si nombreux ; qui fit passer nos manufactures aux étrangers, fit fleurir et regorger leurs Etats aux dépens du nôtre, et leur fit bâtir de nouvelles villes.... Leur donna le spectacle d'un si prodigieux peuple proscrit, nu, fugitif, errant, sans crime. cherchant asile loin de sa patrie ".

L'Eglise Réformée a resurgi au XIX° siècle au Cateau avec force. Ce renouveau est dû à l'installation d'industriels protestants, les Seydoux, les Degrémont, dont l'influence économique déterminante aura aussi des répercussions religieuses notables.

Aujourd'hui, le déclin économique du Cateau a engendré des départs, et l'Eglise s'est corrélativement amenuisée. Il y a trois ans, son temple à brûlé dans un incendie au cours de la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1982. Sa reconstruction est en voie d'achèvement, au 52, de la rue Genty, Il sera bientôt de nouveau disponible pour accueillir les fidèles aux cérémonies de culte.

(Article paru dans La Voix du Nord, édition de Cambrai du dimanche 29 décembre 1985)


Accueil Remonter Suivante