Pasteur J.-B. Pruvot :

les protestants de Bertry (Nord)

Texte publié par Madeleine Thomas et Daniel Robert

Un ensemble de documents très intéressants concernant la communauté de Bertry (Nord), au sud-est de Cambrai, canton de Clary, vient d'être donné (en copie) à notre Société. Il porte la cote : ms. 1663d. Ce don a été fait par Mme Madeleine Thomas, archiviste honoraire, descendante de la famille pastorale et industrielle Poulain, qui était originaire de Bertry. Les textes concernent à la fois le groupe protestant et cette famille, tenant à la fois des souvenirs personnels et de la monographie d'une petite Eglise. Les documents remis sont au nombre de trois, qui dans une large mesure se complètent.

- Le plus long, que j'appelle n° 1, et qui porte le titre Histoire des protestants de Bertry, 142 p., n'est pas signé mais l'auteur n'en fait pas de doute (il se désigne lui-même dans le texte, à la page 3 du ms, notamment) : c'est Jean-Baptiste Pruvot (1803-1878 ?), dont la mère était Espérance Poulain, soeur de Valentin et de Louis Poulain (voir plus loin). Il a écrit (rédigé) vers 1875.

Nous donnons l'essentiel de ce ms., en l'allégeant un peu (parfois, il se répète, l'on peut dans ce cas l'abréger (sans aucun inconvénient).

- Une autre version (n° 2), plus courte, ne concerne que la prime jeunesse de J.-B. Pruvot : elle contient d'assez nombreux détails supplémentaires.

- Un troisième ms. (n° 3), certainement postérieur, a pour rédacteur un arrière-petit-fils de Pruvot (par sa fille Sophie, Mme Henri Taine), Eugène Taine (1873-1956) ; il repose en grande partie sur un Journal de Pruvot, journal qui est assez souvent recopié par Taine. Nous citons en note ce que les mss. 2 et 3 nous ont paru apporter de plus utile ; les copies complètes sont elles aussi remises à la Société de l’Histoire du Protestantisme Français.

L'orthographe des mss, n'est pas très bonne, surtout dans les n° 1 et 2. Nous la rectifions, alors que les copies de Mme Thomas versées à la S. H. P. F, la conservent avec soin.

Quel est l'intérêt de cet ensemble ?

D'abord, bien évidemment, d'avoir le sel du document. Il nous renseigne de première main au sujet d'une petite Eglise dont l'on savait très peu de chose (les bons livres de feu les pasteurs Jean de Visme, Jean de Visme, 1927, et Paul Beuzart, Parfondeval-en-Thiérache, nouv. éd. 1942, n'en parlent pas ; le second indique cependant bien la diversité des opinions religieuses dans la région, notamment pp. 104.110).

En second lieu, de nous apporter quelque lumière au sujet de faits et de structures (à un échelon minuscule) qui en eux-mêmes méritent la vive attention du chercheur. Bertry est une toute petite Eglise née en milieu de tisserands à proximité d'Eglises plus anciennes (Quiévy au nord, Walincourt au sud-ouest, Inchy-Beaumont à l'est) ; née de l'exemple des vieux protestants, au début de la période de liberté, sous Napoléon. Un peu plus tard, elle a été transformée par le Réveil (les colporteurs préparés par H. Pyt paraissent avoir joué un rôle décisif). Ensuite, elle a été prodigieusement variée (réformés " nationaux ", dissidents dont la plupart devinrent baptistes, et même quelques Irvingiens), tout en se passant - ou presque - de pasteur, et en suscitant de son sein des laïcs sans études, qui présidaient le culte, dont les deux frères d'opinion opposée, Valentin (+ 1854) et Louis (+ 1860) Poulain, et leur neveu J.-B. Pruvot ; Pruvot lui-même prêcha tout en étant tisserand, avant de faire quelques études à Douai sous la direction de pasteurs baptistes américains ; il fut pasteur baptiste (1840), puis servit (1854) la Société Chrétienne du Nord, à Verdun principalement (1855-1874). Le lecteur sera, pensons-nous, ému de son insistance au sujet de la prière publique personnelle, prière " du coeur " - et des explications familières de l'Ecriture données par des hommes sortis, si nous osons dire, du rang.


HISTOIRE DES PROTESTANTS DE BERTRY (NORD)

Il y avait des protestants à Walincourt, à Caullery, à Caudry, à Inchy-Beaumont, à Quiévy, etc., avant qu'il en eut à Bertry. Une histoire populaire rapporte qu'un homme de Quiévy, nommé Lorriaux, a été mis en prison à Cambrai pour cause de religion, sous le règne de Louis XIV ; et que Fénelon, archevêque de cette ville, alla le voir dans sa prison et lui dit : Ne crains rien, Lorriaux, tu es couvert du manteau de Fénelon. Ainsi donc, du temps de Fénelon, il y avait des protestants à Quiévy. Mais il n'y en avait point encore à Bertry,

Le premier Protestant que l'on a connu à Bertry fut un homme appelé Jean-Baptiste Basquin, tailleur d'habits et époux de Jeanne Thérèse Poulain ; ils avaient sept enfants : deux filles et cinq garçons.

Ce Jean-Baptiste Basquin allait presque chaque dimanche à Caudry pour assister au culte protestant [...], Pour ce qui était des gens du village, ils pensaient que le père Basquin, comme il était tailleur, allait reporter de l'ouvrage à Caudry.

Dans ce temps il y avait aussi une famille dont le chef se nommait Jean-Philippe Poulain, époux de Marie-Reine Lefèvre, ils avaient aussi sept enfants : 4 filles : Marie-Thérèse, Geneviève, Marie-Reine et Espérance ; et 3 fils dont l'aîné se nommait Valentin, ensuite Louis et Philippe.

Marie-Thérèse avait épousé Louis Aimé, Geneviève avait épousé Auguste Lefèvre, Espérance avait épousé Louis Pruvot, Valentin épousa Rosalie Aimé, soeur de Louis Aimé. Mais Louis Pruvot mourut après environ trois années de mariage, laissant un fils à sa femme du nom de Jean-Baptiste. Ensuite Louis Poulain épousa Marianne Rocquet, et Espérance, après quelques années de veuvage, épousa Jean-Philippe Rocquet, frète de Marianne.

Valentin Poulain n'avait pas voulu faite sa première communion dans l'Eglise romaine, et aussi n'avait-il pas voulu se marier au curé. Il n'était cependant pas incrédule, mais il disait : quand je prendrai une religion, ce sera celle des apôtres.

Cela a été raconté plusieurs fois par Valentin lui-même à celui qui a écrit ces lignes, en lui parlant de son passé.

Or, il arriva, de 1808 à 1809, que, comme Valentin était tisseur de son état, jusqu'alors, il faisait des calicots pour un homme d'Inchy-Beaumont, nommé François Boulet qui était protestant, avec qui il eut occasion de parler religion et d'assister au culte qui se célébrait dans ce village, et de causer aussi avec plusieurs membres de l'assemblée ; de sorte qu'il trouva la religion protestante plus conforme à celle des apôtres que celle des prêtres ; et il l'embrassa.

Mais il fit bientôt part de sa découverte à ses frères, Louis et Philippe, ainsi qu'à ses beaux-frères, Louis Aimé, Auguste Lefevre ; à Jean-Baptiste Aimé, frère de sa femme, qui avait épousé Marie Joseph Lechef et enfin à Jean-Joseph Denoyelle son voisin, époux d'Ambroisine Lechef.

Un jour que l'ancien Pasteur M. De Vismes devait prêcher à Inchy-Beaumont, les prosélytes de Bertry, qui en étaient prévenus, se rendirent ensemble à Inchy pour l'entendre ; [...] car à ce temps il y avait peu de Pasteurs ; il n'y en avait pas même à Walincourt, bien que ce fût une place officielle. Il y en avait eu un nommé M. Courlat ; mais il n'y resta que peu de temps.

Quand donc il y avait un Pasteur dans quelque localité, on y allait, non seulement pour l'entendre, mais aussi pour recevoir la sainte Cène, pour recevoir la bénédiction des mariages, pour faire baptiser les enfants et les prosélytes pour se faire recevoir dans l'Eglise.

Le jour donc que M. le Pasteur De Vismes était à Inchy, bon nombre de protestants de Caudry s'y rendirent et avec eux le père Basquin, tailleur, et il s'y rencontra avec les autres de Bertry et parlèrent ensemble de leurs sentiments religieux en retournant à leur village, bien contents de leur découverte.

Pendant quelque temps, les nouveaux protestants de Bertry allèrent chaque dimanche au culte à Inchy, pour apprendre les chants des Psaumes et des cantiques.

Mais ils prirent bientôt le parti d'établir un culte à Bertry, en la demeure de Valentin.

Il est vrai que les cultes ne se faisaient que par des lectures ; mais toujours est-il qu'ils firent ce qu'ils purent, et ils n'eurent pas honte de se montrer.

Valentin et Louis achetèrent une grosse Bible d'Ostervald à réflexions, pour 20 francs.

Louis Aimé acheta une grande liturgie, dite de Genève, pour les dimanches et jours de fêtes. On se pourvut aussi d'un indicateur pour les chapitres qu'on devait lire et pour les psaumes que l'on devait chanter chaque dimanche de l'année et aux fêtes. On s'est aussi procuré les sermons de Jaclot, de Durant et de Saurin.

Et avec tout cela il fallut encore se munir de livres de Psaumes dont chacun coûtait 7 F ; cependant il y en avait au moins un par famille bien .que personne n'était riche.

La sainte Bible et le Nouveau Testament étaient encore bien rares alors . parce que l'on n'en imprimait pas encore en France.

On trouva chez quelques Catholiques romains des Nouveaux Testaments avec les Psaumes en musique et quelques cantiques. Il y en avait de plusieurs formats, quelques-uns étaient si petits qu'on aurait pu les mettre dans sa poche de gilet. Ces livres avaient été imprimés à Amsterdam (Hollande), et avaient été apportés en France, sous la croix, par des Pasteurs Hollandais, du temps de Louis XIV.

Ces premiers protestants s'en allaient au culte, ou, comme on disait alors, à la prière, avec le livre à Psaumes sous le bras, comme les catholiques romains avec leur office divin, ou leur paroissien.

Ainsi les premiers protestants de Bertry furent Jean-Baptiste Basquin tailleur d'habits, lequel mourut le 21 avril 1810, à l'âge de 68 ans. Ce fut M. Jacques Bricout d'lnchy qui présida son enterrement par lectures.

Les autres furent Valentin Poulain et sa femme Rosalie Aimé; ils avaient un fils nommé Théophile, âgé de cinq à six ans.

Louis Poulain et sa femme Marianne Rocquet ; ils avaient aussi un fils Louis âgé de deux à trois ans.

Philippe Poulain était encore célibataire.

Louis Aimé et sa femme Marie-Thérèse Poulain ; ils avaient quatre enfants : [...] de plus un cinquième, un fils nommé Joseph, qui était encore bien jeune, et auquel son père avait voulu donner le nom de Nabuchodonosor.

Auguste Lefèvre, époux de Geneviève Poulain, avaient trois enfants 1...1.

Jean-Baptiste Aimé et sa femme, Marie Josephe Lechef, avaient deux enfants [...].

Marie-Josephe Lechef étant morte, Jean-Baptiste Aimé épousa, en secondes noces, Pacifique Cendras, protestante de Caudry.

Jean-Joseph Denoyelle et Ambroisine Lechef ne tinrent pas bon, ils retournèrent à l'Eglise romaine [...]. Tous ces enfants encore en bas âge suivirent naturellement leurs parents dans la religion, de sorte que de bonne heure on pouvait compter vingt-neuf protestants à Bertry.

Voici comment on célébrait le culte :

Louis Aimé était lecteur des sermons et des prières, à son défaut, il était remplacé dans ses fonctions par Valentin, qui, avec son frère Louis, lisait alternativement la Bible avec les réflexions [...]. [...]les frères Poulain parlèrent des principes de leur nouvelle religion à leur père et à leur mère et cette dernière embrassa aussi le protestantisme. Il faut dire aussi qu'elle était craignant Dieu, bonne et pieuse autant qu'on peut l'être dans les ténèbres de l’Eglise romaine. Aussi quand ses fils lui parlèrent de la Vérité, elle ne fit aucune difficulté pour la recevoir ; et elle fréquenta le culte, se munit d'une Bible qu'elle lut fréquemment avec son mari.

Nous avons parlé de deux soeurs des frères Poulain qui se sont faites protestantes avec leurs maris ; mais il en reste encore deux autres dont nous devons aussi parler : Marie-Reine et Espérance. Marie-Reine garda le célibat et le catholicisme pendant toute sa vie ; elle était presque aveugle.

Espérance jusqu'ici était toujours catholique ainsi que son mari, Jean-Philippe Rocquet, et son fils de son premier mari [J.-B. Pruvot]. Elle avait aussi deux autres enfants baptisés dans l'Eglise romaine. Quand son fils aîné eut atteint l'âge de huit ans, comme il allait à l'écale et qu'il commençait à lire, son oncle Philippe lui donna un petit paroissien romain, car l'oncle n'en avait plus besoin parce qu'il était protestant.

Cet enfant avait beaucoup de zèle [...] il devint enfant de choeur et servit la Messe pendant quelque temps, Et comme les Psaumes des Vêpres étaient sur le paroissien que son oncle lui avait donné, il les chantait en latin avec les autres chantres.

Mais ce petit paroissien lui fit du bien sous un certain rapport. Car il y avait sur ce livre un traité intitulé : Pensées chrétiennes pour tous les jours du mois, et l'une de ces pensées avait rapport au jugement dernier. Cela frappa l'esprit de l'enfant qui voulait souvent la lire.

Cet enfant visitait souvent sa grand-mère Poulain [...]. Sa grand-mère lui faisait souvent lire l'Evangile.

Il savait bien que la plus grande partie de ses parents du côté de sa mère étaient protestants, Huguenots 1...1 il les en blâmait et les méprisait [...].

Mais un dimanche qu'il était aux Vêpres et qu'on chantait le psaume CXIV de la bible des catholiques : In exitu Israël Egypto, etc. fatigué de chanter, il se mit à lire la traduction française de ce psaume à côté du latin, et il fut frappé par ces paroles : Les idoles des nations sont d'or et d'argent ; elles ont des yeux, et ne voient point ; elles ont une bouche, et ne parlent point […] ; elles ont des oreilles, et n'entendent point […].

En lisant ces paroles l'enfant qui avait devant lui une statue, soi-disant de la Vierge Marie ; sur laquelle statue, il jetait les yeux à chaque sentence qu'il lisait, en disant : C'est comme cela ; c'est comme cette statue. La statue qu'il avait devant les yeux ressemblait parfaitement en tout aux idoles des Nations.

Ainsi la lecture de la parole de Dieu que la mère Poulain faisait souvent faire à son petit-fils, jointe à l'intelligence naturelle de l'enfant, lui donnèrent du dégoût pour la religion romaine. Cependant il n'en connaissait pas encore toutes les erreurs ; il ne connaissait, ni la doctrine du Purgatoire ; ni celle de la Transsubstantiation, ni le culte de la vierge et des saints. Ce qui l'a dégoûté de l'Eglise romaine, ce furent son idolâtrie et son culte en langue inconnue du peuple.

jusqu'ici l'enfant n'avait pas encore assisté à aucun culte protestant. Mais un dimanche il eut occasion d'aller à Inchy avec son cousin Constant Lefèvre, qui était protestant. Celui-ci le conduisit au temple. L'enfant ne remarqua rien de particulier, mais il fut content d'entendre lire la parole de Dieu et chanter des Psaumes en français. Il avait bien retenu les Numéros des Psaumes qu'on avait chantés, mais il n'avait pas bien saisi les chapitres qu'on avait lus.

De sorte que le lendemain, lundi, il alla chez sa grand-mère Poulain et lui dit qu'il avait été au temple à Inchy-Beaumont et que le culte lui avait semblé bien beau. Et il chercha sur le Nouveau Testament de sa grand-mère les chapitres qu'il avait entendu lire, et sur son Psautier, les Psaumes que l'on avait chantés. Alors sa grand-mère lui promit un sou, s'il voulait apprendre la prière qu'on disait en entrant au temple. Et une demi-heure après, il savait par coeur la prière, et le sou lui était donné.

Et bien qu'il ne l'ait pas récitée chaque fois qu'il est entré dans un temple, parvenu à l'âge de soixante-douze ans, il pouvait encore réciter cette prière, qu'il avait apprise à l'âge de neuf ans. La voici :

Seigneur, mon Dieu, je te supplie, pour l'amour de Jésus-Christ, de recevoir favorablement le culte public que je viens te rendre avec mes frères. Fléchis mon coeur, afin que je puisse te t'offrir en sacrifice, préserve moi de distraction, d'hypocrisie, de tiédeur et de tout ce qui pourrait t'empêcher d'exaucer mes prières. Que je t'invoque avec zèle, que je psalmodie en ton saint nom avec ardeur, que ta Parole touche mon coeur et le fléchisse à ton obéissance. Fais, ô mon Dieu, que je sorte de ce lieu plus détaché du monde et de moi-même et plus dévoué à ton service. Exauce-moi, pour l'amour de Jésus-Christ. Amen.

Le dimanche suivant le jeune Pruvot alla encore à la Messe, mais sans goût ; mais l'après-midi, il alla au culte protestant pour la première fois à Bertry, avec sa grand-mère Poulain. Le dimanche suivant, il alla encore au temple le matin ; mais l'après-midi, comme on avait la communion à l'Eglise romaine, il alla aux Vêpres, avec un certain dégoût. Mais ce fut fini, il se décida à quitter entièrement l'Eglise romaine.

Il aimait les saintes Ecritures ; mais ce qui lui plaisait le plus chez les protestants, c'était le chant ; parce qu'il aimait à chanter ; et là il pouvait se réjouir à volonté.

Dans ses prières du matin et du soir, il rejeta tout ce qui était en latin, ainsi que les prières pour les morts. Et comme dans le culte public les Protestants ne se mettaient pas à genoux, il croyait qu'il ne devait pas s'y mettre non plus dans ses prières particulières. Mais un jour qu'il venait de terminer sa prière, le mari de sa mère, Jean-Philippe Rocquet, lui reprocha d'avoir trop tôt fini de prier, parce qu'il ne récitait que la prière du Seigneur et la confession de foi, ou symbole des apôtres; et il lui reprocha aussi de ne pas dire une prière pour ses parents trépassés, pas même pour son propre père défunt.

Mais la mère prit la défense du fils [...]. Alors son mari lui répondit : Je le laisserai faire ; parce qu'il n'est pas mon propre fils.

D'un autre côté Louis Poulain et Auguste Lefèvre, qui étaient voisins, visitaient souvent Espérance et son mari, et parlaient avec eux de religion. Et Espérance s'inclinait beaucoup du côté des protestants, parce que sa mère, ses frères et deux de ses soeurs s'étaient tournés de ce côté, et que son fils lui disait souvent : Maman, venez à la prière avec moi.

Son mari vit bientôt la différence qu'il y a entre la religion romaine et la protestante ; mais il ne pouvait se décider à faire le pas ; parce qu'il craignait fai(re) de la peine à sa mère […], elle avait eu beaucoup de chagrin, son mari avait été tué dans sa maison, voulant empêcher une rixe et quelque temps après son fils puîné avait été emmené par les gendarmes pour être soldat, en 1812, il n'est jamais retourné [...].

Enfin Espérance céda aux instances de son fils et de ses frères ; elle assista au culte protestant ; son mari [...] était lui-même plus avancé qu'elle, dans la connaissance de la Vérité. Mais il craignait sa mère.

Plusieurs des enfants du père Poulain n'étaient pas riches [...]. Le petit Pruvot n'alla plus à l'école dès l'âge de neuf ans. Son cousin Théophile Poulain y alla plus longtemps ; mais il dut aussi la quitter pour apprendre l'état de son père qui s'était mis à travailler de menuisier.

Jusqu'ici, il n'y avait pas d'autre Pasteur dans les environs de Bertry plus rapproché que M. De Vismes qui demeurait à Valenciennes.

Mais il arriva un nouveau Pasteur à Walincourt nommé : M. Larchevêque, on était alors en 1814.

On prit donc des arrangements pour les localités que le nouveau Pasteur devait visiter ; de sorte que le petit troupeau de Bertry fut considéré comme annexe de Walincourt, et on décida que le Pasteur irait y prêcher six fois par année. Alors l'Eglise protestante de Bertry fut officiellement reconnue.

Dans ce temps les protestants de Bertry chantaient une chanson qui avait été composée à l'occasion de la révocation de l'édit de Nantes [50 strophes ; de peu d'intérêt ].

Reprenons notre histoire.

En 1814, dans le mois de juin, Espérance accoucha d'un fils, c'était son troisième enfant depuis qu'elle était remariée. Comme elle était protestante et que son mari ne l'était pas encore, son fils aîné, le jeune Pruvot, se mit en devoir de procurer un parrain et une marraine à l'enfant qui venait de naître, espérant qu'il serait baptisé protestant.

Il alla donc demander, pour parrain à son frère : Théophile Poulain, son cousin; et pour marraine, Judith Aimé, sa cousine. C'était une effronterie de la part de ce jeune garçon. Le beau-père n'en fut pas satisfait [...]. Cependant il laissa faire. Et l'enfant fut enregistré sous le nom d'Esaie Rocquet, que son parrain lui donna. Mais ce nom ne plaisait pas dans la famille Rocquet ; c'est pourquoi on le changea en celui d'André.

Quelque temps après, comme le nouveau Pasteur prêchait à Caullery, Espérance y porta son enfant et le fit baptiser par le Pasteur ; et le père n'en dit rien.

La première fois que le Pasteur Larchevêque, prêcha à Bertry, on se réunit comme d'habitude dans la chambre de Valentin. Et celui-ci avait fait une très belle chaire pour le temps. On vit ce jour-là plusieurs étrangers au culte de Bertry [...].

Il y eut donc ce jour-là, à Bertry, des Protestants de Veau (Aisne). On y a vu aussi, entre autre un protestant de Reumont, nommé François Dron, tourneur de son état. Comment cet homme était-il devenu protestant ? C'est ce que personne ne sait maintenant. Toutefois il fut le premier protestant de Reumont ; et ce fut lui qui propagea le Protestantisme dans ce village [...].

On ouvrit donc aussi un culte protestant à Reumont. Et les principaux protestants de Bertry, Valentin et Louis Poulain, s'y rendaient le dimanche, tour à tour, pour les mettre en train à chanter. Car c'était là le plus difficile.

On s'assembla d'abord chez François Dron, ensuite chez Prudent Gibot [...].

Quand il y eut un culte établi à Reumont, il fut convenu que le Pasteur partagerait ses services entre Bertry et Reumont. M. Larchevêque alla donc trois fois par année à Bertry et autant à Reumont. Ces deux Eglises n'en formaient qu'une [...].

Mais revenons à Bertry. Jean-Philippe Rocquet connaissait déjà bien les erreurs de l'Eglise romaine [...], quand le Pasteur était à Inchy, il y allait. Mais depuis la mort de sa mère, sur la fin de 1814, il fréquenta le culte à Bertry.

Les années 1815 et 1816 furent malheureuses. Deux fléaux tombèrent sur la France : la guerre et l'invasion, puis une grande cherté de vivres : le pain s'est vendu 60 centimes la livre.

Les enfants des protestants grandissaient. Théophile Poulain allait toujours à l'école et profitait beaucoup. Il se joignit à son cousin Pruvot pour apprendre le catéchisme. Ils apprirent aussi ensemble les chants des Psaumes. Et bientôt on les fit lire aux cultes.

Comme les familles de protestants se multipliaient (le plus jeune des frères Poulain était aussi marié et le père Poulain lui-même allait au culte), il arriva que la chambre dans laquelle on s'assemblait était devenue trop petite, surtout quand le Pasteur y était. Le père Poulain, ayant acheté une maison, la deuxième au-dessus de celle de Valentin, il arriva, en 1820, qu'il fit agrandir la chambre du fond de cette maison, pour y faire le culte. Quand cette place fut arrangée, on y plaça la chaire, le pupitre et les bancs et on y fit le culte pendant quelque temps.

Mais la même année, le père Poulain loua sa maison à un homme nommé Piloy, sans néanmoins engager la chambre qui servait de temple [...]. On pouvait communiquer avec le temple par une porte. Mais le pire, c'est que ce Piloy se mit cabaretier. Cela ne convenait pas à côté d'un lieu de culte. Aussi les deux fils aînés du père Poulain et plusieurs de ses gendres, ne voulurent plus entrer dans ce temple pour louer Dieu. Il fut donc abandonné.

Alors le père Poulain, pour parer sa faute, offrit la plus belle chambre de sa maison, où il demeurait, rue de Fervaque, pour y faire le culte. Mais ni ses fils aînés ni ses gendres ne voulurent point y aller. Il n'y eut que Philippe Poulain et Rocquet et quelques femmes et des jeunes gens qui y allèrent. On y fit le culte pendant quelques mois de 1821. Théophile Poulain et Jean-Baptiste Pruvot faisaient les lectures […].

[Dans l'ancienne salle], un soir, la poutre que l'on avait mise au plafond pour ragrandissement de la pièce, se cassa à l'endroit d'une mortaise ; car elle était vieille et avait déjà servi ailleurs, et tout le plafond s'est effondré et la chaire et tout ce qui était dans la pièce fut brisé.

Alors le monde s'est écrié : Miracle, en disant : le père Poulain avait fait bâtir un temple ; puis il l'a loué pour un cabaret, et tout s'est écroulé ; Dieu l'a puni [...].

Cependant au bout de peu de temps on s'est réuni de nouveau chez Valentin. Mais la chaire ne fut plus rétablie.

Jusqu'ici le Protestantisme de Bertry com[me] celui des autres localités environnantes, n'était qu'un protestantisme formaliste et sans foi. On faisait de la controverse contre l'Eglise romaine et voilà tout. On ne comprenait pas la doctrine de la justification par la foi en Jésus-Christ, ni celles de la conversion et de la régénération par le saint Esprit. On travaillait encore le dimanche ; on allait encore au cabaret. Et c'est dans ces habitudes que les premiers enfants des protestants de Bertry furent élevés.

Cependant il y avait à Walincourt un bon chrétien nommé Jean-Baptiste Roussier, qui faisait tous ses efforts pour faire comprendre le salut qui est par la foi en Jésus-Christ, tant aux protestants de Bertry qu'aux autres. Il enseignait que personne ne pouvait être sauvé par ses propres mérites, vu que tous les hommes sont des pécheurs perdus et condamnés. Mais on ne le comprenait point.

Mais Dieu est un bon Père qui souvent tire le bien du mal. Car pendant que les armées alliées pesaient matériellement sur le peuple français, les chrétiens anglais s'occupaient de l'évangélisation. Leurs troupes qui occupaient le Nord de la France avaient avec eux des aumôniers missionnaires qui portaient avec eux la bonne nouvelle du salut par la foi, et frayaient la voie à la liberté évangélique. En 1819, M. Pyt Henri de Sainte-Croix (Suisse, canton de Vaud), fut envoyé à Valenciennes (Nord) par le comité de la société évangélique Continentale de Londres ; parce que les aumôniers de l'armée anglaise y avaient jeté un peu de semence de la Vérité, pour voir s'il y pourrait recueillir quelques fruits (25).

Le poste de Quiévy et Saulzoir se trouvait alors sans Pasteur. M. Pyt alla donc prêcher à Saulzoir le 15 septembre 1819. Le 25 du même mois, il prêcha à Quiévy.

Le 7 décembre il alla jusqu'à Caudry, où il fit des visites et prêcha. Le 10 et le 24 il prêcha encore à Saulzoir. De là il retourna à Valenciennes rejoindre sa femme. Puis il en repartit le 30 pour se rendre à Nomain, village près de Tournay, sur la frontière de la France et de la Belgique. Il trouva dans ce village une intéressante assemblée de 140 personnes auxquelles il prêcha le 1er Janvier 1820. Voyant qu'il avait là de l'oeuvre à faire, M. Pyt fixa sa demeure à Nomain. M. Pyt était un Pasteur converti, envoyé pour opérer, si possible, par la grâce de Dieu, un réveil dans le Nord de la France.

Il ne fut point trompé dans son attente. Il prêcha l'Evangile à Nomain, il eut des entretiens avec les protestants, et bientôt il vit les fruits de son oeuvre par la conversion de plusieurs personnes.

A peine nés en Christ, les enfants spirituels de M. Pyt s'empressèrent de répandre autour d'eux la parole du Salut. Quelques-uns d'entre eux allèrent porter l'Evangile à Lannoy, petite ville à deux lieues de Lille. Bientôt leurs petites et saintes assemblées devinrent comme autant de pépinières d'humbles évangélistes.

L'un des jeunes de Nomain, nommé Alexis Montel, fit la proposition de parcourir les villes et les villages comme marchand, d'entrer dans toutes les maisons et [d'offrir?] la parole de Dieu à chaque personne.

Tous les frères furent charmés de cette idée. Alors Alexis et un autre jeune homme nommé Ladam déclarèrent qu'ils étaient prêts à essayer ce moyen, si Dieu le lui permettait. Mais comme [on] trouva qu'il convenait de n'employer d'abord qu'un colporteur, afin de voir si ce moyen réussirait ; ce fut Ladam qui fut accepté.

Le lundi 23 octobre 1820, Ladam partit donc avec une caisse de livres sur le dos pour aller colporter la parole de Dieu, et prêcher l'Evangile aux pauvres pécheurs. Ce fut aussi dans ce temps que les frères de Nomain prirent devant le Seigneur l'engagement solennel ; ou la résolution de se former en une Eglise qui marchât selon la parole de Dieu.

Comme 1"oeuvre de Ladam réussissait assez bien, Alexis et Ferdinand Caulier furent aussi mis à l'oeuvre peu de temps après.

[…] la vieille haine du coeur humain contre la bonne nouvelle du salut gratuit se réveilla, les efforts des incrédules redoublèrent, et, poursuivi par eux, M. Pyt qui n'était, ni français, ni Pasteur officiel, dut, à la fin, quitter ce beau champ de travail.

Notice nécrologique sur J.-Bte Ladam.

Cet humble et zélé serviteur de Jésus-Christ naquit à Nomain (Nord), le 28 janvier 1789, de parents catholiques romains. En 1812, il fut appelé sous les drapeaux. En 1815, il rentra dans son village avec un congé illimité. Bientôt après il jeta dans la rue un soldat de l'armée alliée, qui s'était mal conduit dans une maison où il se trouvait. Ladam fut poursuivi, mais il parvint à se sauver en Belgique. De là il revenait secrètement en France. Et ne pouvant aller à la messe [...], il se rendit dans une petite assemblée protestante qui se réunissait dans un hameau. La simplicité de ce culte le frappa, et il commença à lire le Nouveau Testament et ensuite l'Ancien. Il eut à lutter avec les membres de sa famille et avec les prêtres. Et n'ayant pas trouvé dans la Bible une seule des doctrines distinctes de l'Eglise romaine, il devint Protestant de nom ; mais son coeur n'était pas changé.

Le 1er janvier 1820, il fut pour la première fois touché par la parole de Dieu, dans une prédication du bienheureux Henry Pyt [...]. Depuis lors Ladam fit des progrès rapides dans la foi, et le 23 octobre 1820, il se voua à l'oeuvre de colportage biblique, oeuvre dans laquelle il a persévéré autant qu'il a été en lui [...].

Pendant deux ans, il a parcouru avec beaucoup de succès, le département du Nord, allant de village en village, de maison en maison, offrir la parole de Dieu et s'entretenir de son contenu. L'intolérance du clergé romain parvint à susciter des entraves à cette oeuvre excellente.

Ladam et ses amis et frères Ferdinand Caulier et Ubald Waquier se mirent alors à évangéliser, et allèrent jusqu'à vingt et même trente lieues de distance. Cela dura jusqu'en 1830. Ces zélés serviteurs de Dieu réunirent des congrégations, fondèrent des lieux de culte et [ne] manquèrent pas de s'attirer la haine et les persécutions des prêtres romains.

Ladam fut jeté en prison, poursuivi devant les tribunaux, accusé tantôt de contrebande, tantôt d'enlèvement de mineure ; mais le Seigneur était avec lui ; son innocence était hautement et judiciairement proclamée [...].

En 1830, Ladam reprit le colportage biblique, il acheva la visite du département du Nord, interrompue en 1822 et répandit un grand nombre de Bibles et de Nouveaux Testaments.

En 1832, le comité fixa sa résidence à Versailles auprès de M. Pyt, et il parcourut, pour répandre la parole de Dieu, une bonne Partie du département de Seine-et-Oise. En 1834, il alla s'établir à Saint-Denis, où M. Pyt s'endormit au Seigneur, après y avoir fondé un lieu de culte et ouvert une chapelle. Cette oeuvre a passé, depuis 1835, sous la direction de la société évangélique de France.

Un peu après, Ladam fixa sa demeure à Vincennes afin d'achever de parcourir de là les environs de Paris. Il y travailla avec succès pendant environ un an.

En juin 1836, il commença la même oeuvre dans l'intérieur de Paris, et là il vendait souvent au-delà de deux cents Bibles par mois, sans compter les Nouveaux Testaments.

Le 7 août 1838, il finit cette première tournée. Voici ce que nous lisons à ce sujet; cela est écrit de sa propre main.

" Je n'oserais assurer que je suis entré dans toutes les maisons de cette vaste capitale ; mais je puis dire en bonne conscience que j'ai fait tout mon possible à cet égard. Je n'ai trouvé nulle part dans mes courses un peuple aussi honnête qu'à Paris; j'ai visité les ateliers de tout genre ; j'ai offert la bible dans un grand nombre de maisons de mauvaise vie ; je n'ai été insulté que deux fois, et ces deux fois par des prêtres. "

Le 13 août 1838, c'est-à-dire huit jours après, Ladam entreprit une seconde fois Paris, sous la direction de la société Biblique Britannique et étrangère ; mais bientôt l'état de sa santé le força à de fréquentes interruptions. A la fin de l'été 1842, un cancer à la figure, dont l'invasion datait de 1837, fit de rapides progrès. Notre frère souffrit beaucoup, mais en vain, entre les mains des médecins ; le mal ne semblait s'arrêter un instant, que pour reparaître plus terrible, et après [...] des souffrances et une soumission à la volonté de Dieu, dont plusieurs chrétiens [...] ont reçu une profonde édification, notre bienheureux frère a remis son âme en paix entre les mains de Dieu, ayant été lavée dans le sang du Sauveur.

Il a délogé le 18 août 1846, âgé de 57 ans et demi, dont 26 ont été fidèlement et humblement consacrés au service de son Seigneur [...].

Nous avons copié cette notice sur Ladam afin que l'on sache que ce cher frère n'était pas un brouillon, un perturbateur, un diviseur de l'Eglise [...]. Mais afin que l'on sache [aussi] que M. Ladam était un zélé et courageux serviteur de Dieu [...]. Oui, Ladam a formé des Eglises particulières. Mais il les formait de ces âmes qui avaient été amenées à la Vérité par son ministère, ou par celui d'autres frères qui prêchaient la même Vérité.

Quoi qu'on en dise, une âme avait été amenée à la connaissance du salut par la foi en Jésus 1...1 on ne pouvait pas, on ne devait pas la laisser s'égarer dans les sentiers du monde ; mais on les organisait en Eglises Evangéliques, afin de les instruire et de les diriger d'une manière conforme à l'Evangile.

Mais revenons à notre histoire.

Comme nous l'avons dit, les colporteurs de Nomain étendirent de plus en plus leur champ de travail. Et un jour d'automne 1821 à midi, comme le jeune Pruvot était devant la porte de sa maison, rue de Cambrai, où il demeurait avec ses parents, un homme passa dans la rue avec un sac à peau sur le dos et lui dit : Jeune homme ne voulez-vous pas acheter le Nouveau Testament ? Pruvot lui répondit : Monsieur, nous avons la sainte Bible en entier.

(Parce qu'avant l'arrivée des colporteurs, la Société Biblique Britannique et étrangère avait placé des dépôts de livres saints dans les grands centres protestants de la France, comme par exemple, à Walincourt, et les protestants s'en étaient pourvus.) Le colporteur dit au jeune homme : Est-ce que vous êtes Protestant ? - Le jeune homme : Oui, Monsieur. - Le colporteur : Il y a donc des Protestants à Bertry ? - Le jeune homme : Nous sommes tous protestants chez nous. - Le colporteur : Y a-t-il un temple à Bertry ? Le jeune homme, en lui montrant la maison de son oncle Valentin, lui dit : Voilà la maison où on s'assemble, vous pouvez y aller.

Ladam s'en alla donc chez Valentin Poulain, car ce colporteur était Ladam. Et étant entré dans la maison, il eut avec le chef, un entretien par lequel il lui fit comprendre la doctrine du salut par la foi en Jésus-Christ. Ce que Valentin saisit très bien.

Après l'entretien, le colporteur demanda à faire la prière. M. Poulain le lui accorda, bien qu'avec un peu d'étonnement. Ladam se mit à genoux devant sa chaise, Valentin l'imita. Le colporteur fit une simple et fervente prière que Valentin écouta, toujours avec étonnement ; car il n'avait pas encore vu se mettre à genoux pour prier chez les Protestants, et il n'avait jamais entendu un laïque prier d'abondance. C'est pourquoi il fut frappé.

De Bertry, Ladam s'en alla à Reumont. Et en colportant ses livres, il trouva les Protestants de la localité; d'ailleurs Valentin lui en avait donné les noms. Et Ladam eut avec plusieurs d'entre eux des entretiens évangéliques édifiants. Après le départ de Ladam, Valentin raconta aux autres protestants de Bertry, son entretien avec le colporteur, et comment ce dernier avait fait une prière d'abondance, disait-il, comme font les Pasteurs, et que cet homme n'avait pas étudié.

Peu de temps après le départ de Ladam, Alexis Montel et Ubald Waquier, aussi de Nomain, arrivèrent à Bertry comme Evangélistes, c'était vers le soir.

On convoqua les familles protestantes pour entendre ces deux jeunes hommes. Et quand on fut réuni, ils expliquèrent familièrement et simplement la parole de Dieu, et s'entretinrent avec tous ceux qui se trouvaient là présents, demandant à chacun comment il espérait être sauvé ; et montrant que ce ne pouvait être que par la seule foi en Jésus-Christ.

Alors [...] on commença à faire des réunions d'édification les dimanches au soir, auxquelles assistaient les plus sérieux des adultes et quelques jeunes gens.

Pour ces réunions, on lisait la parole de Dieu, on s'exhortait à dire ce que l'on pensait de tel passage, et on s'adressait des questions à ce sujet.

Il faut dire aussi qu'à Bertry, depuis quelque temps, on lisait les sermons de Nardin, qui avaient été réimprimés ; et ils furent très utiles pour ceux qui commençaient à comprendre la parole de Dieu.

Mais malheureusement quelques-uns des anciens chefs de famille regardèrent ces choses comme des nouveautés ridicules [...].

Les jeunes gens, Théophile Poulain et Jean-Baptiste Pruvot, écoutaient ces nouvelles choses et y prenaient une certaine part. Ils comprirent très bien qu'ils ne pouvaient être sauvés par leurs oeuvres, d'autant plus qu'ils n'étaient que des pauvres pécheurs et que le salut était tout de grâce. Ils comprirent bien aussi que le but de Dieu en envoyant son Fils dans le monde, était de sauver les pécheurs et que pour être rendu participant des bienfaits de la mort de Jésus-Christ, il faut se repentir et croire en lui.

Ces deux jeunes gens n'avaient pas encore été reçus à la communion dans l'Eglise protestante; Pruvot avait déjà près de 18 ans et Poulain en avait 16. Les nouvelles doctrines que l'on venait de connaître ne les avaient pas fait avancer de ce côté-là. M. Larchevêque n'acceptait pas ces doctrines; mais eux les acceptaient. De sorte que quand il les interrogeait, ils ne se trouvaient pas d'accord avec le Pasteur, sur le fondement du salut. On les fit interroger plusieurs fois. Et à la fin le Pasteur ne voulut plus les interroger. Et comme un certain jour, plusieurs jeunes gens de Reumont devaient être reçus, les jeunes gens de Bertry se présentèrent et furent aussi reçus à la communion. Ils étaient quatre : Constant Lefèvre Jean-Baptiste Pruvot, Théophile Poulain et Judith Aimé. Mais malheureusement pas un de ceux qui furent reçus ce jour-là n'était converti. D'ailleurs personne ne l'était encore réellement dans le pays. On savait bien que le salut était par grâce, par la foi en Jésus-Christ ; mais personne, jusque-là, n'était affranchi. Cela n'arriva que plus tard.

Le jeune Théophile Poulain était d'un caractère sérieux et penseur, sans être réellement converti, il ne pouvait supporter, ni l'injustice, ni les grossièretés du monde ; il a eu le bonheur de ne point fréquenter ni les jeux ni les danses. Il fut toujours grave, réfléchi et aimant l'instruction. Aussi fut-il converti de bonne heure, et devança son cousin Pruvot dans la carrière de la vie spirituelle.

car Pruvot resta mondain. [...] il savait qu'il avait besoin de se convertir [...]. mais il ne pouvait secouer le joug du monde. Il dut quitter le voisinage de son oncle Valentin, et cela lui fit perdre beaucoup spirituellement. Son cousin Théophile fit l'essai de le visiter dans sa nouvelle demeure ; mais il n'y put rien faire.

(Suite du document)


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