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.../... Les réveils. Outre les Evangélistes dont il a été parlé plus haut, on vit aussi paraître MM. Méjanel, Porchat, Dusart et M. Colani, Pasteur à Lemé (Aisne). Comme M. Colani avait prêché une fois à Bertry, avant sa conversion, il voulut encore y prêcher après être converti. Il y prêcha donc le salut par la foi en Jésus-Christ. On sait déjà que Ladam avait laissé le colportage en 1822, et qu'il avait pris la fonction d'Evangéliste. Il avait fondé une Eglise dissidente à Reumont, où il avait établi sa résidence ; et il était toujours à la tête de l'oeuvre, rayonnant partout. Comme il avait été musicien dans un régiment, après avoir consacré son petit talent musicien à la gloire de Dieu en conduisant le chant avec sa clarinette, et établi une petite musique dans le temple de Nomain, il fit la même chose à Reumont. Théophile et Jérémie Poulain faisaient partie de cette musique [...], Ladam établit aussi une école du dimanche. L'oeuvre fit plus de progrès à Reumont qu'à Bertry, d'abord. On y bâtit un petit temple tenant à la maison Prudent Gibot, dans la rue de l'enfer. Ce temple fut bâti sur le plan de celui de Nomain. Chacun de ces temples avait un corridor au bout duquel était le Baptistère dans lequel on entrait par le corridor. A gauche du corridor était la porte du temple ; et à droite de cette porte, il y avait une ouverture fermée par deux volets et donnant jour au baptistère sur le temple, de sorte que quand on baptisait [...], ceux qui étaient dans le temple n'avaient qu'à se tourner pour voir le baptiseur et le baptisé. Enfin on voyait administrer le baptême par immersion. En face de la porte d'entrée, dans le fond du temple, était la chaire et la table de communion, Tous les bancs étaient uniformes, et arrangés de manière à se mettre à genoux convenablement, en s'appuyant sur le banc de devant ; chaque banc avait un dossier, et le premier par devant avait un pupitre à part. A droite de la chaire étaient les deux bancs des musiciens, et à gauche étaient les deux bancs des Anciens, Cela était imposant, Et bien que l'Eglise de Nomain et celle de Bertry (sic) aient été séparées par une distance de douze lieues, les membres de ces églises se visitaient fréquemment, allant de Nomain à Reumont, et de Reumont à Nomain aussi souvent que possible, pour se voir. Le réveil eut aussi lieu à Saulzoir, et à Saint-Vaast et à Quiévy, par le passage fréquent des Pasteurs, des Evangélistes et des colporteurs, allant de Reumont à Nomain et de Nomain à Reumont. Ces deux Eglises firent un certain bruit à l'étranger par leur réveil : en Angleterre, en Suisse et même en Allemagne. De sorte que plusieurs pasteurs notables de ces pays voulurent voir ces Eglises par eux-mêmes. Le réveil eut aussi lieu dans le département de l'Aisne : Parfondevalle, Landousie-la-Ville, Esquéhéry, Vaux, etc., sentirent les bienfaits de la conversion de leur Pasteur, M. Colani. A Hargicourt, même département, il y eut aussi un réveil et un grand mouvement religieux ; M. Matil, ancien Pasteur protestant de ce village, s'opposa autant qu'il [put] à ce réveil. Comme il ne voulait point prêter sa chaire missionnaire, les croyants se trouvèrent forcés de se réunir hors du temple. Pour cela on leur fit un procès. Et un homme qui avait prêté sa maison [...] se jeta dans un puits où il perdit la vie. Cet événement ne [fit] qu'augmenter le trouble. Un jour que MM. Méjanel et Porchat étaient arrivés dans le village, les Protestants se soulevèrent, et ils voulaient jeter ces deux hommes dans le puits pour aller, disaient-ils, recher[cher] les souliers de celui qui y était mort [...]. Et si les régénérés voulurent entendre les prédicateurs, ils durent se réunir dans un bois, par la pluie Même les Gendarmes furent avertis pour les prendre ; mais ils arrivèrent trop tard. Malgré tout cela le Réveil ne fut point arrêté. Plusieurs croyants de ce village reçurent le don de prêcher l'Evangile, mais un d'entre eux fut mieux partagé. Ce fut M. Osée Gambier. Les régénérés firent bâtir, ou arrangèrent un local, dans lequel ils obtinrent la liberté de se réunir. Pendant que tout cela se passait, l'oeuvre avançait à Bertry, à Reumont et depuis Reumont jusqu'à Nomain, à Quiévy et Saulzoir. A Bertry, M. Valentin Poulain avait fait de grands progrès dans la connaissance de la parole de Dieu ; il était parvenu à l'expliquer en public, et à prier d'abondance dans les réunions. Son fils, Théophile Poulain, avait aussi fait tant de progrès, qu'à l'âge de 18 ans, il pouvait prêcher en chaire avec ordre, comme un pasteur qui avait fait des études régulières. Car nonobstant (sic) les dons qu'il avait reçus du Saint-Esprit, il possédait aussi une certaine instruction et des dons naturels [ ]. Et comme, nous l'avons dit plus haut, il avait visité plusieurs fois son cousin Pruvot [ ] sans pouvoir en rien obtenir, Théophile se tourna vers un autre de ses cousins, Joseph Aimé, qui crut et suivit l'Evangile. On comprend facilement que Valentin et son fils étaient désireux de mettre en pratique les dons qu'ils avaient reçus du Seigneur en célébrant le culte à Bertry de la même manière qu'à Reumont, où chacun employait le don qu'il avait reçu à l'édification des autres. C'est ce qui aurait eu lieu, si le père Roussiez, de Walincourt, lui qui avait tant de fois prêché à Bertry, le salut par la foi en Jésus Christ, aux frères Poulain, n'y avait mis obstacle par son influence. Et pour cela, il s'adressa à Louis Poulain. Car, comme les deux frères étaient à la tête de l'Eglise, il chercha à les diviser. De sorte que Louis entra dans les vues du père Roussiez, en qui il avait confiance. Le père Roussiez ne voulait pas la séparation, ni l'abandon du culte de lectures. Aussi donc au printemps de 1824, on réunit les principaux membres de l'assemblée chez Valentin. Et son fils Théophile demanda si on était disposé à ne plus faire de culte de lectures, c'est-à-dire à ne plus faire de prière liturgique, à ne plus lire de sermon ; mais à lire la parole de Dieu, à prier de coeur et à s'exhorter les uns les autres selon que la parole de [Dieu] l'enseigne, etc. Alors Louis répondit : Pour moi je veux bien que l'on fasse comme vous le proposez, aux réunions du soir ; mais dans les autres services, celui du matin et celui de l'après-midi, on lira les sermons de Nardin comme de coutume ; ces sermons sont très chrétiens et très édifiants, et même si quelqu'un est capable de faire une prière comme il faut, je ne m'y oppose pas non plus. [...] Alors Théophile Poulain dit : Ainsi vous allez vous séparer. Je vous donne la Bible, la liturgie, les sermons et les bancs, prenez tout. Pour nous, nous allons entrer dans l'Eglise de Reumont, laquelle marche selon nos principes, et selon la parole de Dieu. Dès lors il [y] a eu séparation. Valentin et sa famille, Joseph Aimé et sa soeur Tirtza se réunirent à l'Eglise de Reumont. Et le lieu de culte fut [à Bertry] transporté de chez Valentin chez son frère Louis Poulain [ ... ]. Cette séparation de l'Eglise de Bertry ne fit pas de bien spirituellement au jeune Pruvot, ni à quelques autres qui n'étaient meilleurs que lui. Car ils se trouvaient plus à l'aise en suivant le protestantisme formaliste ordinaire ; ils croyaient qu'ils étaient plus autorisés dans leur conduite mondaine. Cependant, comme il était le meilleur lecteur de l'assemblée, il lisait avec plaisir les sermons de Nardin qui l'édifiaient beaucoup ; parce qu'ils étaient évangéliques. Car il est encore juste de dire que pas un de ceux qui ne s'étaient pas séparés, ne rejetait le salut par la grâce et par la seule foi en Jésus-Christ, ni ne prétendait être sauvé par ses oeuvres. C'était une production du réveil. M, le Pasteur Larchevêque, qui depuis plusieurs années n'avait pas prêché à Bertry, fut rappelé ; parce qu'on voulait un pasteur pour baptiser les enfants, pour distribuer la sainte Cène et pour faire les enterrements. Mais une chose regrettable, c'est qu'en dehors des cultes on s'occupait trop de discussions religieuses. Les nationaux parlaient contre les dissidents et les dissidents contre les nationaux. Cela n'était pas bien, sans doute. Cependant la rivalité des églises faisait lire la parole de Dieu pour mieux connaître les doctrines. Dieu, dans sa bonté, tirait le bien du mal pour le salut des pécheurs. Le jeune Pruvot était toujours mondain ; cependant plus volage que méchant [...]. Il essaya plusieurs fois de se convertir soi-même, il abandonnait le monde un dimanche ou deux ; il faisait l'école du dimanche pour l'instruction des enfants ; il leur expliquait l'Ecriture. Mais bientôt il retournait à sa folie. Jusque-là il ne pensait pas qu'il avait besoin du secours du Saint-Esprit pour se convertir. Voyant qu'il était retenu par les plaisirs du monde, il pensa à se marier, espérant par-là s'en retirer plus facilement. Mais, voilà, où trouver une femme convenable ? Ce lui était égal, qu'elle fût catholique ou protestante ; car il disait : une Catholique inconvertie et un Protestant inconverti, ce sont deux inconvertis. Et il pensait que, s'il épousait une inconvertie, Dieu pourrait les convertir l'un et l'autre par sa grâce, et que lui il instruirait sa femme par le moyen de l'Evangile. Pruvot se maria donc avec une catholique respectable, une personne calme et tranquille, un peu plus âgée que lui. Et bientôt après il alla demeurer dans sa maison, près de son oncle Valentin. Là il eut très souvent des entretiens avec son oncle et son cousin Théophile, et ils lisaient ensemble la parole de Dieu et de bons livres. De temps à autre il allait à Reumont avec eux ; surtout quand il y avait quelque pasteur étranger, ou quelque solennité. Ainsi il y est allé un jour pour voir baptiser M. Beusard de Parfondevalle, M. Demoulin de Saint-Vaast, MM. David Lablé et Amel de Sain-Richaumont, et d'autres fois encore. Ces baptêmes étaient administrés par Théophile Poulain, qui était le Pasteur de l'Eglise. Ce jeune homme alors travaillait peu de son état de menuisier ; mais il étudiait beaucoup, et il faisait beaucoup de progrès dans la prédication de l'Evangile. Et outre qu'il allait à Reumont tous les dimanches, il y allait aussi chaque jeudi soir pour y faire une réunion. Depuis que l'Eglise de Reumont avait été organisée, Ladam était passé dans d'autres localités. En 1825, comme Valentin travaillait toujours de son état de menuisier, un jour un jeune homme de Viesly, nommé Henri Villette, qui sortait [d]apprentissage, arriva chez lui cherchant du travail. Valentin l'occupa. Lorsqu'il fut installé, sa mère lui porta des effets. C'était une fort bonne femme. Valentin lui parla de l'Evangile. Elle écouta avec admiration. De retour chez elle, elle raconta à son mari et à sa fille, ce qu'elle avait entendu. Le mari alla aussi voir son fils [...j. Valentin fut alors invité à aller les voir à Viesly. Il y alla. Et dès lors la porte y fut ouverte à la prédication de l'Evangile. Le père Villette et sa femme furent convertis à l'Evangile, et la demoiselle. Et ils furent baptisés à Reumont tous les trois. Théophile Poulain désirait beaucoup faire des études. Et l'occasion sen présenta. La maison de Mission établie à Paris depuis peu de temps, se trouva sans directeur et les élèves de cette maison furent envoyés à Lemé, chez M. Colani, en attendant qu'on ait trouvé un autre directeur. Alors M. Colani écrivit à Valentin pour lui demander s'il pourrait faire sans le travail de son fils, que dans (ce) cas il pourrait l'envoyer chez lui pour étudier avec les élèves de la maison de Mission. Théophile y alla. Après quelque temps les élèves de la maison de Mission retournèrent à Paris sous la direction de M. Grandpierre. Mais M. Colani avait tant voyagé, tant parlé depuis sa conversion qu'il tomba malade et eut une extinction de voix. Alors Théophile Poulain resta à Lemé, où il fut plusieurs années sous la direction de M. Colani qu'il remplaçait dans son oeuvre. Ainsi tout en étudiant, M. Poulain prêchait l'Evangile. Mais Pruvot continuait toujours à fréquenter le culte national ; car il n'y en avait pas d'autre à Bertry ; et il ne pouvait se décider à aller chaque dimanche à Reumont. Cependant son coeur était réellement tourné vers la grâce de Dieu. Les misères qu'il avait éprouvées par une maladie de sa femme et les instructions évangéliques qu'il avait reçues avaient, par la grâce de Dieu, contribué beaucoup à sa conversion: Il pouvait faire la prière dans le culte domestique où il assistait souvent chez son oncle Valentin le soir. Or il arriva un jour de dimanche que Pruvot se trouvait le matin chez son oncle Valentin, il y était souvent, et son oncle lui dit : Je suis vraiment fatigué d'aller ainsi à Reumont chaque dimanche, hiver et été, bon ou mauvais temps. Voilà trois ans que je fais cela. Alors Pruvot lui dit : Mon oncle, pourquoi ne restez-vous pas, et ne faites-vous pas le culte chez vous ? L'oncle lui dit : Si tu veux venir au culte ici, je resterai, et les autres qui vont à Reumont, y resteront aussi. Pruvot répondit : Je le veux bien, je resterai. Dès ce jour il y eut deux lieux de culte protestant à Bertry : un chez Louis, et un chez Valentin Poulain. D'abord l'assemblée de chez Valentin n'était pas bien nombreuse ; elle ne se composait que de sa famille, Joseph Aimé, sa soeur Tirtza, Juste Basset et Pruvot. Mais il arrivait souvent que Valentin sortait le dimanche après-midi pour aller à Montigny, ou à Ligny, ou à Caullery, où il y avait quelques âmes réveillées pour y faire le culte, et les autres membres du petit troupeau l'y accompagnaient. Jusque-là Pruvot ne faisait que lire et chanter dans ces réunions pour aider son oncle. Mais un certain dimanche après-midi, que l'oncle était absent, plusieurs personnes arrivèrent à Bertry pour assister au culte. Comment faire donc : M. Poulain n'y est pas ? Ces personnes pressent Pruvot de faire le culte. Lui ne l'ayant jamais fait, s'en défendait. Et Joseph Aimé était alors soldat. Pruvot donc, bien qu'en tremblant, après avoir demandé au Seigneur de lui venir en aide, commença le service, et il édifia de son mieux le petit troupeau, sur Nombres XXXV, II à 28. Les villes de refuge. Jésus-Christ est notre refuge comme ces villes. Et depuis lors [il] a toujours continué à faire le service à son tour, soit à Bertry soit ailleurs. A celui qui fait valoir le talent que Dieu lui a donné, il lui en est encore donné d'autres. On donnera à celui qui a (Math. XXV, 29). En automne 1827, une femme d'Ecaufour [...] pour se soustraire aux mauvais traitements de son mari, qui était ivrogne, alla demeurer à Bertry avec sa fille aînée, mariée à Ferdinand Naublecourt, et augmentèrent le petit troupeau qui s'assemblait chez Valentin. Peu de temps après trois demoiselles de la même famille arrivèrent encore à Bertry et multiplièrent le troupeau. Au mois de mars 1828, Mme Noblecourt accoucha d'un enfant mort ; et le lendemain cette pieuse femme mourut aussi à 9 heures du soir. Valentin et Pruvot étaient appelés à l'heure suprême [...]. A 10 heures du soir Valentin retourna ; mais Pruvot passa la nuit dans la maison mortuaire. Mais à 11 heures, Valentin était lui-même très malade. On obtint des autorités municipales de faire l'enterrement le lendemain [...]. Mais qui fera cet enterrement? M. Poulain est malade, et Pruvot a passé la nuit à veiller la morte. D'un autre côté Pruvot n'avait pas encore fait d'enterrement. Cependant il ne pouvait pas reculer. Pruvot s'arma de courage et pria en son coeur ; et Dieu lui donna de se tirer d'affaire d'une manière édifiante. On s'assemblait toujours de deux côtés. Quoi qu'on en dise, cela valait mieux que de ne point s'assembler du tout. Il y avait au moins des principes, si on ne veut pas dire de la vie. Dans ce temps, un certain, nommé Jean-Baptiste Herbet, qui dans sa jeunesse avait travaillé chez Louis Poulain [...], qui avait bien des fois chanté des Psaumes avec son maître et Pruvot en travaillant ensemble dans les châles brochés; cet Herbet qui depuis s'était marié [...], se souvint de ce qu'il avait entendu autrefois, et il prit le parti de se faire Protestant. Pour ce faire, il alla au culte chez Louis Poulain. Et quelques temps après il y mena son beau-frère Théophile Louvet. Et chacun leur famille. De sorte que le troupeau des nationaux se multipliait doublement : par le moyen du Prosélytisme et par le moyen des enfants des Protestants qui grandissaient [...]. Mais les nouveaux venus s'étonnaient de ce que les protestants étaient divisés. Et quand ils en demandaient la raison, on leur disait que les séparés ne voulaient plus de Pasteur, qu'ils faisaient la Cène entre eux, qu'ils ne baptisaient point leurs enfants, qu'ils ne voulaient point de culte de lecture, etc, [...]. Un jour de dimanche, après midi, comme Jean-Baptiste Herbet se croyait bien fort dans la Vérité, il lui prit fantaisie d'aller attaquer les dissidents, et de leur montrer leurs erreurs. Il arriva juste au moment où on sortait du service. Valentin n'était pas là [...]. Comme Pruvot était là seul, Herbet crut qu'il aurait meilleure affaire. Mais il fut bien surpris quand il vit que la croyance des dissidents était selon l'Evangile [ ]. Dès ce moment il y eut quelques relations entre les deux assemblées, Quand il arrivait quelque prédicateur chez les dissidents, ceux-ci le faisaient savoir aux autres [ ]. De ce temps-là il en arrivait souvent. M. Gambier surtout passait chaque mois en allant à Reumont où l'Eglise marchait bien [...]. Il arriva que quelques membres des deux troupeaux se demandèrent si on ne pourrait pas réunir les deux assemblées en une. On en fit l'essai. [ ] Mais cela n'était pas facile. Car les préventions étaient fortes entre les deux frères Poulain, Louis et Valentin [...]. On convint donc que l'on se réunirait le dimanche matin chez Louis Poulain, qu'on y ferait un culte de lectures, qu'on y lirait les sermons de Nardin, mais que quant aux prières de la liturgie on ne les lirait; mais que l'on prierait M. Poulain Théophile, qui était encore à Lemé d'en composer pour cet effet. Et que l'après-midi, on se réunirait chez Valentin, on ferait un culte de méditations et de prières de coeur, ou d'abondance. Cela fut ainsi entendu, et mis en pratique. Ce culte de l'après-midi et les réunions du soir faisaient beaucoup de bien. Jean-Baptiste Herbet lui-même y prenait une très grande part : il priait d'abondance et exhortait en expliquant la sainte Ecriture. D'un autre côté, tous les prédicateurs étaient bien reçus M Larchevêque lui-même y allait quand il le pouvait. Il arriva même un dimanche qu'il s'y trouva avec Théophile Poulain, et firent le service ensemble. Mais au bout de quelque temps que les dissidents se fatiguèrent du culte de lectures, et les autres se fatiguèrent du culte de méditation [ ... ] . On se sépara ; et on fit encore le culte de deux côtés comme autrefois. Mais cette fois les prosélytes restèrent avec les dissidents, ainsi que la famille de Jean-Philippe Rocquet, puis un jeune homme nommé Henri Fruit qui fut converti [...], Un autre nommé Elie Moity, petit-fils de Jean-Baptiste Basquin le Premier protestant du village [...], acheta la Bible, et [ ] se décida à aller au culte protestant avec sa femme et les deux soeurs de sa femme [...] ces trois soeurs étaient les filles d'un ancien chantre de lEglise romaine ; mais leur père était mort [...]. Ces quatre personnes entrèrent dans l'Eglise nationale [ ] Il y eut encore un autre homme nommé Théophile Herbet qui, à l'âge de 14 à 15 ans avait voulu se faite Protestant, parce qu'il travaillait avec Louis Poulain, et que ce dernier lui avait montré les erreurs de l'Eglise romaine. Mais son père l'en avait empêché [...]. En 1829, son père mourut, et il le fit enterrer par le prêtre [...]. Mais quelques semaines après, il alla au cuite chez les nationaux, et il y mena sa femme et ses enfants. Il n'avait pas l'intention de se convertir; car il ne savait ce que c'était que la conversion; il voulait seulement être Protestant ; et après cela s'amuser, et comme il était archer, faire sa partie de flèches. Mais après qu'il eut entendu la parole de Dieu, il changea de principe et devint sérieux. Le prêtre du village ayant appris que cet homme allait au culte protestant, crut probablement que c'était parce qu'il lui avait demandé trop cher pour l'enterrement de son père, car il alla lui demander excuse [...] et il lui rendit six francs ; mais il ne lui parla de rien au sujet de la religion. Le dimanche suivant, Théophile Herbert alla à Walincourt, et il employa les six francs que le curé lui avait rendus à acheter des Nouveaux Testaments pour lui et pour ses enfants. Bientôt après, un autre père de famille nommé Jean-Baptiste Taisne, se mit aussi à fréquenter le culte protestant. Cet homme avait beaucoup voyagé en Allemagne comme commis voyageur, et il avait souvent assisté au culte protestant dans ce pays. Rentré en France avec une modeste fortune, à l'âge de 40 ans, il s'était marié avec une personne de 20. Ils eurent une famille de quatre enfants. Et après peu de temps [ ] ils se trouvèrent dans une grande pauvreté et sans demeure. Théophile Herbet eut pitié de cette famille, et la reçut dans une vieille chambre de sa maison. Quand Jean-Baptiste Taisne pensa à embrasser le Protestantisme [...], il alla d'abord chez les Nationaux ; ensuite [...], il alla chez les dissidents. Il fit cela plusieurs fois ; et enfin, il prit le parti de tenir avec les dissidents. Un jour, cet homme, en parlant de l'Evangile avec les frères, leur dit cette parole remarquable : Je suis, moi, comme l'enfant prodigue ; ma misère a fait mon bonheur ; car il est probable que si je n'étais pas devenu pauvre je n'aurais jamais connu le Sauveur ; car je serais demeuré mondain ; mais le Seigneur m'a humilié pour me sauver. Cet homme était réellement réveillé. Les dissidents visitaient la famille Taisne, chez Théophile Herbet. Pendant plusieurs mois Pruvot y alla chaque dimanche matin pour y faire le culte domestique. Car Pruvot étant pauvre lui-même aimait visiter les pauvres et se consoler avec eux [...]. Ces relations des Dissidents avec Théophile Herbert par le moyen de la famille Taisne, donnèrent encore lieu à quelques rapprochements. Les membres des deux assemblées auraient bien voulu se voir réunis [...]. Mais le grand obstacle était entre les deux frères, Louis et Valentin. Ces deux hommes [...l ne pouvaient s'accorder sur les choses les plus simples. Cependant ils étaient chrétiens l'un et l'autre, et ils avaient en vue la gloire de Dieu et le salut des âmes. Seulement ils différaient dans le moyen d'y parvenir. Enfin les membres des deux assemblées prirent le parti de se réunir encore une fois indépendamment des deux frères. [...] on se réunit un soir chez Théophile Herbet pour choisir un comité directeur pris parmi les membres des deux assemblées. On nomma aussi des lecteurs ; car le culte devait encore se faire le matin par des lectures excepté les prières qui devaient être faites d'abondance, et chez Louis Poulain. Et l'après-midi on allait encore chez Valentin ; où les cultes consistaient en lectures de la Parole de Dieu, chants et méditations et prières. Ceux qui pouvaient exhorter étaient [l'après-midi] libres de le faire. [...] [ puis ], en 1831, la maison du père Poulain, à laquelle tenait le temple qui avait été autrefois abandonné, étant devenue vacante, on proposa d'y rentrer, et le comité accepta la proposition. Alors Jérémie Poulain, qui était jeune homme et menuisier chez son père, raccommoda la chaire qui avait été brisée ; on fit blanchit la pièce dans laquelle on porta les bancs, les chaises et la table. Et les assemblées se réunirent encore provisoirement dans ce temple, où les choses marchèrent assez bien pendant quelques mois. [...] on recevait tous les prédicateurs de l'Evangile sans distinction. Or comme on avait ouvert un culte à Saint-Quentin et que M. Guillaume Monod y avait été établi Pasteur et Théophile Poulain était son suffragant; M. Monod rempli de zèle pour l'avancement du règne de Dieu et pour le salut des âmes, prêcha un jour ouvrable dans ce petit temple de Bertry et il y eut bien des auditeurs. Car M. Monod était un homme excellent, faisant beaucoup de bien aux pauvres, mendiant pour eux. Aussi voyait-on souvent les Protestants de Montigny venir chez M. Poulain Valentin pour y recevoir les secours qui venaient de Saint-Quentin. On ne s'entendait pas [...] les frères Poulain, Louis et Philippe, poussèrent leur père à vendre la maison à laquelle tenait le temple [...]. La séparation eut encore lieu. Les dissidents se réunirent chez Valentin et [les] nationaux chez Louis Poulain. Mais les prosélytes se tournèrent du côté des dissidents [baptistes]. Dès l'année 1830, Valentin Poulain et Joseph Aimé, son neveu, avaient été appelés à Londres de la part de la société Baptiste de cette ville pour y recevoir vocation comme Evangélistes. Mais jusqu'alors Joseph Aimé quoiqu'étant Baptiste de principe, n'avait pas encore été baptisé. or comme il était à Reumont un dimanche d'automne pour se faire baptiser, et que plusieurs personnes de Bertry y étaient allées pour voir la cérémonie, Jean-Baptiste Herbet qui était présent dit à Aimé : Mais Joseph, c'est une chose singulière que vous vous fassiez baptiser juste la veille de votre départ pour recevoir la charge d'Evangéliste baptiste. L'observation était juste. Aimé chercha à se justifier, en disant : on sait bien que je suis baptiste depuis longtemps. Mais Herbet lui répondit : C'est une raison de plus [ ]. Après que ces Messieurs furent revenus de Londres, Joseph Aimé s'en alla dans le département de l'Aisne, où il fut l'instrument de la conversion de M. et Mme Hersigny de Genlis, ou Villequier-au-Mont, près de Chauny. Il y fit encore quelques autres disciples. Mais Valentin resta chez lui, pour évangéliser dans les environs de Bertry : à Ligny, Montigny, Walincourt où il y avait quelques personnes de réveillées. Dans ses travaux il ouvrit aussi un culte évangélique à Estourmel [...]. Jean-Baptiste Gerard fut le premier converti à Estourmel. A ce temps, M. Joseph Thieffry de Lannoy était aussi agent de la même société, à Saulzoir, où il y avait aussi une Eglise dissidente baptiste. Pendant que Valentin faisait son oeuvre ou qu'il n'était pas à Bertry, Jean-Baptiste Herbet et Pruvot faisaient ensemble le service à Bertry, Théophile Herbet faisait aussi la prière. Il est arrivé souvent que Valentin étant indisposé ou occupé d'ailleurs, envoyait son neveu Pruvot à sa place, en le défrayant de ses voyages. Il l'a envoyé plusieurs fois à Walincourt, à Brancourt et même à Monbrain. Sans avoir l'intention d'être stricte, l'Eglise dissidente de Bertry s'organisait sur le pied d'une Eglise baptiste, comme celles de Reumont et de Saulzoir. Un dimanche M. Poulain Valentin, dans un étang de la Caserne, a baptisé son beau-frère Jean-Philippe Rocquet, Jean-Baptiste Herbet et son neveu Pruvot. Jean-Baptiste Herbet introduisit l'Evangile dans la maison d'un vieillard du village de Maurois. Ce vieillard nommé Joseph Jonquoi fut converti et baptisé ainsi que son gendre, Louis Laforge [...]. Valentin Poulain ayant acheté un terrain qui se trouvait entre sa maison et la rue de Cambrai, dit à l'assemblée : Si vous voulez faire bâtir un temple, je donnerai l'emplacement. Alors on se décida à faire bâtir un temple. Et pour cela on fit une souscription, chacun selon son pouvoir. Et au mois de mai, 1832, tous les jeunes gens de la petite assemblée se mirent à brouetter des briques le soir après leur journée de travail. Les jeunes filles même se mirent à l'oeuvre [...] Louis Poulain fils a aussi mis la main à l'oeuvre, bien que n'appartenant à l'Eglise dissidente. On avait tant de zèle, que l'on a plusieurs fois brouetté mille briques par soirée. On acheta aussi des pierres, sur le territoire de Ligny, et on les fit voiturer. Or quand il fallut commencer à bâtir, on avait bien les pierres, les briques, le sable et la chaux ; mais l'argent manquait pour payer les journées des ouvriers. Alors on fut forcé de faire un emprunt de 300 francs chez un usurier de Cambrai, qui faisait payer 12 du cent par année [...]. Encore fallait-il renouveler le billet chaque six mois et payer un courtage de 3 francs [...]. On fit donc élever les quatre murs du temple ; et pour faire la charpente, on prit quelques arbres dans les bois du grand-père Poulain, sans doute avec son consentement. La charpente établie, chacun s'empressa de donner ce qu'il pouvait : des chevrons, des perches et de la paille pour couvrir le temple. Le temple resta dans cet état pendant plusieurs années [...]. Avant tout on pensa à payer les trois cents francs que l'on devait [...]. En attendant on se réunissait toujours chez Valentin. En 1833, le 26 décembre, quelques amis et frères qui s'étaient réunis, pour se distraire se mirent à déblayer le temple, qui était rempli de bois et de poussière. Et sur le lieu même on leva une nouvelle souscription, pour y faire des fenêtres, croisées et une porte. Et dans le courant de l'été en 1834, cela fut arrangé. Or comme M. Gambier allait de temps à autre prêcher à Bertry, un jour qu'il s'y trouva, On se réunit dans le temple, et les nationaux y allèrent pour l'entendre. Dans ce temps, un jeune de Quiévy, nommé Elisée Lorriaux, qui était employé comme Evangéliste par une société de Londres, M. Lorriaux était baptiste, mais large. Mais M. Gambier n'était pas baptiste. Il supportait un peu les baptistes larges. Mais il a fait la guerre aux baptistes stricts ou rigides autant qu'il a pu ; à Reumont et à Bertry. Il prêchait l'Evangile, mais en principe il était national. Jusque-là il y avait encore une Eglise dissidente à Quiévy, de laquelle M. Lorriaux était membre. Quand le temple fut au point dont nous avons parlé plus haut, ceux qui avaient contribué à son érection, se dirent entre eux : Voilà que nous avons contribué à l'érection de ce temple ; cependant nous n'en avons rien ; car il est bâti sur le terrain de Valentin ; et s'il venait à mourir ses héritiers auraient le droit de s'en emparer ; et ils présentèrent leur proposition à Valentin. Valentin leur dit : J'ai déjà plusieurs fois pensé à cette affaire-là ; mais je ne sais que faire ; montrez-moi un moyen ; je ferai ce que vous voudrez. Et après avoir consulté et cherché, on trouva qu'il n'y avait pas d'autre moyen de se mettre en sûreté que de donner le terrain et le temple au Consistoire du Nord. Valentin donc parla à son frère Louis qui fit auprès du Pasteur Larchevêque, toutes les démarches possibles pour arriver au but. Le temple fut donc donné au consistoire protestant du Nord. Mais ce consistoire n'était point baptiste. Et les pauvres baptistes n'avaient plus de temple. Evénement religieux remarquable. Au printemps de 1835, M. Méjanel qui, neuf ans auparavant, avait prêché l'Evangile dans le Nord, y revint accompagné d'un autre prédicateur Ecossais nommé M. Carey. M. Méjanel s'adressa d'abord chez son ancien ami, M. Colani à Lemé, où il fut bien reçu. Il prêcha beaucoup dans les Eglises de M. Colani, ainsi que son compagnon Carey, racontant partout qu'un grand réveil s'était opéré en Ecosse, surtout à Edimbourg; que Dieu y avait répandu les dons de son Esprit sur plusieurs fidèles qui prophétisaient ; que le seigneur Jésus-Christ allait bientôt venir ; et qu'il préparait son Eglise pour cette venue. Les chrétiens dissidents abondaient beaucoup dans cette doctrine de la venue de Jésus-Christ sur la terre et ils y abondent encore ; car elle est vraie [...]. Mais M. Méjanel avait changé de sentiment et de principe. Au lieu de prêcher Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié pour le salut des pécheurs comme il le faisait autrefois, il prêchait une doctrine nouvelle, ainsi que son compagnon Carey. Voici ce qui était l'objet de leurs discours. Avec un ton imposant et extraordinaire, ils disaient : Toutes les Eglises protestantes sont divisées entre elles : donc le protestantisme ne peut être de Dieu qui est un. Parmi toutes ces Eglises divisées, il y a des pierres pour former l'Eglise de Dieu; mais ces pierres ne sont pas réunies, elles sont éparses et dispersées. Le temps est venu où Dieu, par son Esprit, va rassembler son Eglise. Déjà cet Esprit de Dieu a commencé son oeuvre dans quelques parties du monde chrétien. Il a parlé dans quelques Eglises, il a prophétisé, il a fait des miracles. Mais l'Eglise protestante est divisée, c'est pourquoi l'Esprit ne peut rien faire en elle. Vous Protestants, vous avez formé des sociétés bibliques, des sociétés de mission, des sociétés de traités religieux; vous avez multiplié vos Bibles, vos missionnaires, vos traités religieux; vous avez cru que par ce moyen vous alliez convertir le monde. Mais Dieu ne bénit point votre oeuvre, parce que vous êtes divisés. Parmi les Protestants, les uns sont Luthériens, les autres Calvinistes, d'autres Anglicans Méthodistes Nationaux, Dissidents, Baptistes, Anabaptistes, Darbistes etc. Vous avez voulu sortir de Babylone ; mais vous avez formé de nouvelles rues à Babylone. Le Seigneur Jésus va bientôt venir; mais avant il envoie ses anges pour rassembler ses élus des quatre vents des cieux. Et quand ils seront rassemblés; que son Eglise sera réunie, il viendra la couronner, et exercer sa vengeance sur le monde incrédule, etc. Il va sans dire que tous leurs discours étaient appuyés par des textes de l'Ecriture. Car, il faut bien [le dire] la venue personnelle de Jésus-Christ pour régner sur la terre est fortement annoncée dans l'Ancien et le Nouveau Testament [ ]. Ces Messieurs ne parlaient que peu ou point de la justification par la foi en Jésus-Christ. Pour eux, se convertir, c'était de tout laisser, tout abandonner pour les croire et les suivre. Pendant que Méjanel était encore à Lemé, Carey s'approcha du département du Nord en allant prêcher à Vaux, un jour de dimanche. Là se sont rassemblés une foule de Protestants, surtout des dissidents de Reumont, de Bertry, de Montigny, de Clary, de Maurois, etc., sans compter tous ceux qui étaient du département de l'Aisne. Comme plusieurs de Bertry étaient arrivés avant que le culte ne soit commencé Valentin, qui était l'un d'eux, dit à Carey : Vous pensez donc que la venue du Seigneur Jésus est proche ? Carey lui répondit avec un ton extraordinaire : Celui qui veille sait toujours l'heure qu'il est. Carey fit deux prédications à Vaux, dans le sens que nous avons indiqué plus haut. Vers le soir on s'en retourna. Carey fit la conduite aux Voyageurs jusque près de la Haie Mannres, où il leur donna sa bénédiction. Comme ce jour-là on s'en retournait en compagnie, de Vaux à Bertry, Louis Poulain s'approcha de son neveu Pruvot et lui dit : Que penses-tu de cet homme, Carey, et de sa doctrine ? Pruvot lui répondit : Mon oncle, il y a une certaine Vérité dans ce qu'il a dit ; mais ne disons rien avant d'être sûrs ; car je crois que cet homme a pour but de faire baisser tous les pavillons pour hisser le sien. Toutefois tenons-nous sur nos gardes, dans le silence et la prière, et nous verrons ce qui arrivera. Quinze jours après MM. Méjanel et Carey arrivèrent à Bertry où ils étaient attendus. M. Méjanel prêcha le matin; mais d'une manière couverte et embrouillée. M. Carey prêcha l'après-midi . et il dut se mettre à la porte du temple pour parler tant il y avait du monde dans la cour et que le temple était rempli. Il prêcha sur Actes III, 19, 20. Sa prédication fut passablement évangélique. Il fut écouté par au moins six cents personnes, tant de Protestants venus des villages voisins que des Catholiques romains de la localité. Tout le monde était étonné de l'ardeur convaincue avec laquelle il parlait ; il prouvait ce qu'il disait par des textes de l'Ecriture. Son discours dura plus d'une heure. Après cela il y eut des entretiens sérieux. Il fut ensuite question que MM. Méjanel et Carey iraient à Quiévy le dimanche suivant. On se prépara donc de tous côtés pour aller à Quiévy. Le dimanche étant venu on mit en route. Or il arriva que comme un groupe des amis de Bertry était en chemin pour aller à Quiévy, ils rencontrèrent M. Durel et M. Méjanel. M. Durel conduisait M. Méjanel pour prêcher à Inchy. M. Durel, rempli de joie, dit aux amis de Bertry : Allez, vous trouverez M. Carey en chaire, et moi, je vais conduire M. Méjanel à Inchy-Beaumont. Le Seigneur est si bon qu'il nous envoie ses chérubins pour nous instruire. M. Durel, comme M. Colani, fut bien trompé la première fois qu'il vit ces deux hommes. Car comme il y avait, dans bien des endroits, des petites Eglises dissidentes, on pensait que ces nouveaux prédicateurs allaient tout réunir. M. Durel au retour d'lnchy se trouva dans le temple de Quiévy au Service de l'après-midi, présidé par M. Carey. Ce dernier prêcha avec une ardeur incroyable. On aurait cru parfois qu'il allait s'envoler au ciel ; il n'avait plus l'apparence d'un homme ordinaire. On était comme fasciné en le regardant, tant il parlait avec énergie de la puissance de l'Esprit de Dieu, et des promesses qu'il devait accomplir pour réunir son Eglise sur la terre, pour la venue du sauveur. Mais quand M. Durel eut entendu la prédication de M. Carey, et celle de M. Méjanel à Inchy-Beaumont, il comprit leurs principes et changea de sentiment à leur égard. Quand ils lui dirent que les Eglises protestantes étaient des corps mal organisés, des corps inutiles ; parce qu'elles n'avaient pas le ministère Evangélique complet, qu'elles manquaient d'apôtres. M. Durel leur répondit : Envoyez vos apôtres et nous les éprouverons. Dans ce temps-là il arriva un jour à Bertry deux missionnaires Baptistes américains. L'un se nommait M. Willemarthe, sa femme était avec lui, ils habitaient Paris depuis un an ; l'autre se nommait le Docteur Scearce ; il venait de Hambourg consacrer un Pasteur au ministère évangélique ; il accompagna à Bertry M. Willemarth, qui venait visiter l'Eglise dissidente de cette localité, et cherchait à voir Pruvot. Car M. Willemarthe voulait instruire quelques jeunes gens qui avaient reçu quelque don pour la prédication; et Pruvot lui avait été proposé par M. Elisée Lorriaux, comme pouvant encore étudier. Ces deux Américains allèrent à Quiévy, où ils rencontrèrent MM. Méjanel et Carey, avec qui ils eurent une discussion sérieuse touchant la nouvelle doctrine que ces derniers prêchaient. Comme les Américains ne connaissaient pas encore assez la langue française, la discussion eut lieu en anglais. M. Durel seul put comprendre. Mais d'après son témoignage, Méjanel et Carey furent battus. Un peu après M. Willemarthe revint seul à Bertry [...]. Or en ce temps-là Valentin n'était plus employé par la société Baptiste de Londres. Et comme il aurait voulu l'être encore, il montra avec beaucoup de chaleur qu'il était nécessaire qu'il y eût un agent à Bertry, ou dans les environs. Espérant sans doute que le choix tomberait sur lui [...]. A la seconde fois que Carey alla à Bertry, il y arriva un samedi de bonne heure, et il visita tous les principaux protestants du village et causa avec eux [...]. Mais il ne put visiter Pruvot ; car comme on était en temps de moisson, celui-ci était sur les champs. M. Carey annonça qu'il prêcherait le lendemain, dimanche, à 10 heures du matin ; mais qu'il serait au temple à 9 heures, pour répondre aux questions [ ]. Le lendemain à 9 heures du matin, les étrangers arrivaient en foule à Bertry. Les frères se rendirent aussi au temple, où était déjà M. Carey. Or, ce dernier offrit la parole à ceux qui étaient là. Et comme depuis son arrivée dans le pays, il émerveillait beaucoup de gens par les choses qu'il disait s'être passées à Edimbourg; que le Saint-Esprit avait parlé dans l'Eglise, etc. Pruvot donc proposa la question suivante : Monsieur, depuis que vous prêchez dans ces contrées, vous nous dites et nous répétez, dans vos prédications comme dans vos entretiens, que le Saint-Esprit a parlé et qu'il parle encore dans une certaine Eglise ; voudriez-vous me dire comment il parle ; c'est-à-dire quel en est l'organe ? Carey répondit : Oui, il parle, sa voix est distincte, on peut le reconnaître à sa voix. Pruvot lui dit : Monsieur, ce que vous me répondez est bien vague ; je vous prie, dites-moi : quand l'Esprit parle et qu'on entend sa voix, est-ce en l'air, ou dans les murs, ou dans la voûte du temple, ou, enfin par l'organe d'un homme? Carey répondit : Il parle par l'organe d'un homme. Pruvot lui dit : Mais, Monsieur, quand la première fois le Saint-Esprit a parlé par l'organe d'un homme, qui a pu reconnaître et juger que cet homme parlait par le Saint-Esprit, vu que jusqu'alors personne d'autre que lui n'avait encore reçu le Saint-Esprit ? Car l'homme animal ne comprend point les choses qui sont de l'Esprit de Dieu, car elles lui paraissent une folie; et il ne peut même les entendre, parce qu'elles se discernent spirituellement (1 Cor. II, 14) La question était bien posée pour faire dire à Carey que ce qu'il appelait le don du Saint-Esprit n'était que l'effet de l'exaltation. Tout le monde écoutait [...] pour savoir comment Carey se tirerait de ce pas [...]. [Une autre question est alors posée.] Mais Carey demanda pardon pour répondre à l'autre en disant qu'il ne pouvait répondre à tout le monde à la fois [...], Car la réponse qu'il avait à faire au second était facile. Et quand il y eut répondu, il était 10 heures, et il fallait commencer le culte. l...l Et après le service, Carey se garda bien de rappeler la question. Ces Messieurs faisaient alors beaucoup de bruit en disant que Dieu leur avait fendu le ministère apostolique. Quils avaient alors des apôtres, que [le] Saint-Esprit les avait lui-même choisis. Et ces apôtres étaient pour eux la reconstitution parfaite de l'Eglise primitive. Car comme nous l'avons dit plus haut, ils prétendaient qu'une Eglise sans apôtres était un corps inutile qui ne pouvait rien faire. Ils trouvaient, croyaient-ils, les preuves de cette doctrine. Ephé. IV, 11 et I Cor. XII, 28. Et, il faut le dire, bien des personnes furent ébranlées à ce sujet, surtout parmi les dissidents. Alors, on proposa une semaine de prière, et la proposition fut acceptée. Pendant cette semaine, on se réunit au temple tous les jours au soir. On pria sincèrement. Dissidents, Baptistes et nationaux demandèrent à Dieu de les diriger par son Esprit de lumière. Pruvot comme les autres y assistait. Et bien que le plus pauvre de l'assemblée, il suspendit cependant [son travail] pendant plusieurs jours de cette semaine pour étudier la sainte Ecriture. De sorte que, le dimanche étant arrivé, il prouva devant lassemblée, la parole de Dieu en main, quil ne doit plus, quil ne peut plus maintenant y avoir des apôtres sur la terre, entendu que les apôtres du Seigneur sont toujours dans l'Eglise par leurs Ecrits et que, comme Moïse, eux, étant morts, parlent encore (Héb. XI, 4). Pour être apôtre, il fallait avoir vu le Seigneur, comme on le voit Actes, 1, 21 [...]. Et d'ailleurs, s'il y eût dû avoir une succession d'apôtres dans l'Eglise, ceux d'entre les apôtres qui moururent les premiers, auraient été successivement remplacés par d'autres ; mais il n'en fut rien. D'un autre côté, la sainte Ecriture ne parle que de douze apôtres, qui doivent [être] assis sur douze trônes à la régénération de toutes choses pour juger les douze tribus d'Israël (Luc, XXII, 30) [...]. Au surplus pourquoi faire ces nouveaux apôtres? est-ce pour dire, ou plus, ou moins, que ce que les apôtres du Seigneur ont dit ? Cela est défendu par ce qui est écrit : Galates, 1, 8 : Si quelqu'un vous annonce un autre Evangile que celui qui vous a été annoncé, quand ce serait un ange du ciel, ou nous-même, qu'il soit anathème. Mais, réplique-t-on, saint Paul fut cependant un treizième apôtre. - Oui, Paul fut un treizième apôtre, Mais il fut choisi par Jésus-Christ lui-même et mis à part pour annoncer l'Evangile aux Gentils ; il fut l'apôtre des Gentils, et les Gentils sont sa Gloire (Actes, IX, 3 à 16, 20 à 30 ; Philip. IV, 1), Et il fut approuvé par les autres apôtres. Mais ni Paul, ni les autres apôtres n'ont eu de successeurs. il faut être bien orgueilleux pour prétendre être apôtre, et pour prétendre pouvoir nommer des apôtres. C'est ce que les apôtres du Seigneur eux-mêmes n'ont pas fait, ni ordonné de faire. Mes amis, dit Pruvot en terminant, nous avons toujours avec nous les apôtres inspirés ; nous avons les apôtres qui ont vu et entendu le Seigneur et qui ont été nommés apôtres par lui-même. Tenons-nous-en là. Nous pouvons être sauvés, en croyant à la parole inspirée, cela suffit. Ces explications sur l'apostolat produisirent un bon effet sur les membres de l'Eglise de Bertry, qui restèrent fermes. [...] Une seule famille abandonna l'assemblée. Mais une grande partie des Protestants de Reumont, surtout les plus dissidents, de Quiévy, de Saulzoir et de Montigny embrassèrent la nouvelle doctrine que l'on appelle Irvingisme de Irving, Pasteur chrétien écossais très avancé, qui a prêché l'Évangile avec puissance et simplicité, tellement qu'il a enthousiasmé une partie de ses fidèles auditeurs, jusqu'à l'exaltation, De sorte qu'ils furent transportés hors de l'espérance de l'Evangile. il aurait bien voulu les arrêter ; mais il n'a pu le faire. M. willemarthe était toujours à Paris. Et comme il était missionnaire baptiste américain, il cherchait à réunir en Eglises baptistes, tous les baptistes français qu'il rencontrait. Or, il avait connu à Versailles, un Evangéliste nommé Louis Dusart, qui était là sous la direction de M. Pyt. M. Dusart avait réellement des dons pour la prédication. Mais il ne connaissait pas son français. Or, comme il était baptiste, M. Willemarthe tâcha de l'avoir à son service, et il le fit aller pendant un certain temps à l'école normale de Versailles, où il fit de rapides progrès dans la connaissance de la grammaire française. Alors M. Willemarthe et quelques autres Pasteurs américains le consacrèrent, et M. Willemarthe l'envoya comme Pasteur à Bertry. Quand M. Dusart arriva à Bertry sur la fin d'août 1835, les affaires religieuses étaient au point dont nous venons de parler plus haut : en pleine invasion Irvingienne [...]. Quand M. Dusart fut arrivé à Bertry avec sa famille, il s'établit comme locataire dans la maison de M. Valentin Poulain ; dans la partie près du temple. Et le troisième dimanche de septembre, jour de la petite fête de Bertry, M. Willemarthe l'insta[lla] dans ses fonctions pastorales. Alors tout paraissait être en bonne voie dans l'Eglise. Mais le diable était caché derrière la porte. |
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