|
Chapitre III
Depuis la Révolution
jusquau Réveil
Le régime de l'édit de tolérance ne
dura que deux ans. En 1789, l'assemblée constituante proclama la liberté de conscience
et de culte, " pourvu que la manifestation des opinions ne trouble point lordre
établi par la loi " (Art. XVIII de la déclaration des droits de lhomme). La
constitution de lan III (1795) établit la séparation des Eglises et de l'Etat,
régime qui dura six ans.
Enfin le Concordat et les articles organiques survinrent (loi du 18 germinal an X, 1802) ; les pasteurs furent confirmés et nommés par le gouvernement. 1. Le pasteur Jean de Visme (1787-1819)Création officielle dun " oratoire " à Walincourt Le premier qui bénéficia dans le Cambrésis de cette situation nouvelle fut Jean de Visme, né en 1760, étudiant à Lausanne en 1783, pasteur à Quiévy depuis 1787, infatigable apôtre de toute la région du Nord où il fut quelque temps seul pasteur avec Matile dHargicourt, et Née passé à Lille en 1792. En 1789, J. de Visme fut emprisonné six semaines à Dour (Hainaut) à l'instigation du curé, et il connut pendant sa longue carrière de nombreuses vicissitudes. Il écrivait en 1810 : " Dans les départements du Nord, de Jemmapes, du Pas de Calais et de la Somme, il y a près de 6000 âmes faisant profession de la religion réformée. A lexception de 5 à 600, reste précieux de la révocation de lédit de Nantes, tous sont des prosélytes, au moins en la personne de leurs pères. Le nombre en a toujours augmenté, même en ces temps critiques. Depuis 1786, je lai vu grossir dune bonne moitié. Dieu ma donné la satisfaction de fonder dix ou douze petites églises : cest la moitié de celles qui existent actuellement. En 1810 les protestants d'lnchy demandent à acquérir (de M. Noël Basquin) le bâtiment qu'ils louaient jusqu'alors pour leurs réunions. En 1811 ceux de Cambrai voulant célébrer leur culte dans cette ville archiépiscopale, le maire y fait opposition. L'affaire est soumise au ministre des cultes par le Consistoire de Monneaux. Parmi les églises les plus anciennes desservies par ce zélé pasteur; et les plus proches de sa résidence, était Walincourt. Un "oratoire " y fut officiellement organisé par le décret du 7 fructidor an XlI (25 août 1804) ; le procés-verbal de la reconstitution des Eglises de Quiévy et de Walincourt est daté du 22 vendémiaire an XIII ; parmi les signatures figure celle d'un Briatte peut-être parent du pasteur du XVIIIe siècle. Le décret du 10 brumaire an XIV (1er novembre 1805) rattachait l'" oratoire " de Walincourt au consistoire de Monneaux (près de Château-Thierry, Aisne). Une décision de ce consistoire, date du 18 juin 1809, porte que Walincourt nommera, pour y représenter cet oratoire " un ancien " et ce représentant laïque fut d'abord Cattelain, mais le personnage le plus marquant de la communauté pendant 50 années fut Jean-Baptiste Roussiez. Jean-Baptiste Roussiez (1758-1838)Son parent et homonyme M. le pasteur J.-B. Roussiez avait conservé de lui d intéressants souvenirs. " Ce nétait pas le premier venu. Je l'ai connu. Il est mort en 1838 à lâge de 80 ans. Javais alors quinze ans. Je me rappelle parfaitement de lui, de la manière dont il était vêtu, de ses instructions religieuses, de ses prières. Je le vois encore le jour où il est venu au temple pour la dernière fois. Contrairement à ses habitudes il est arrivé au moment où le culte allait être fini. Car il était évident qu'il y venait pour participer encore fois à la sainte Cène, ayant le pressentiment que ce serait la dernière fois. Il avait joué un rôle considérable dans l'Eglise de Walincourt et dans dautres; il était très connu dans ces Eglises. Tout le monde l'appelait " ch'gros ", aussi bien dans les Eglises voisines qu'à Walincourt. C'était un homme exceptionnellement instruit pour un pays ; il l'était surtout sur les choses concernant l'Eglise, la confession de foi, la discipline. Aussi ne s'est-il jamais laissé endoctriner ni par les dissidents, ni par les baptistes. Il en a même singulièrement rétorqué quelques uns, que j'ai connus, qui faisaient les prédicants, mais qui, sous le rapport de la connaissance des Saintes Ecritures, n'allaient pas à la cheville de son pied. Il avait été en relations avec certains sous-préfets de Cambrai, car il a été pendant assez longtemps premier suppléant du juge de paix de Clary. Il était le gendre de Toussaint Proy (dont nous avons rappelé le mariage à Tournai en 1754) et il avait connu le nommé Jonas qui vers 1750 était le seul protestant resté dans le village de Walincourt. J'en ai souvent entendu parler dans ma jeunesse et en 1850 ou 1851 j'ai causé longuement avec une personne qui l'avait connu. Ainsi, par ces souvenirs des deux, Jean-Baptiste Roussiez, l'ancien et le pasteur, l'Eglise de Walincourt possède deux documents inappréciables, nouant par un lien vivant et personnel les traditions ecclésiastiques locales durant un siècle entier. 2. Premier pasteur officiel : J. P. Courlat (1810-1811)L'oratoire, ou comme nous dirions aujourd'hui, la paroisse de Walincourt, n'eut malheureusement pas d'abord, au moment de son organisation, un premier pasteur digne du pieux laïque qui avait été jusqu'alors, dans l'intervalle des visites du pasteur résidant à Quiévy, Jean de Visme, le véritable conducteur spirituel de la petite communauté : et bientôt ils furent en dissentiment. Le 19 août 1810 le consistoire de Monneaux (ou le représentant de Walincourt était Cattelain nommé le 18 juin 1809) appelle à Walincourt Jean Pierre Courlat, né à Lausanne en 1755 et consacré en mars 1804. Le 22 septembre 1810 un décret confirme cette nomination, mais moins d'un an après son arrivée (le 12 septembre 1811) le consistoire prononça sa déposition " en conformité de l'article 47e de la discipline des Eglises réformées et pour les motifs suivants : " 1° de ne pas prêcher suivant l'ordre établi en ladite Eglise réformée ; 2° de faire des innovations dans la récitation du Symbole des apôtres et de la confession des péchés ; 3° de supprimer dans ses instructions à la jeunesse les dogmes de la justification et de la méditation de Jésus-Christ ; 4° d'avoir supprimé le sommaire de la Loi que l'Evangile ajoute aux dix commandements de la Loi de Dieu, en y substituant un passage du Deutéronome, dans l'impression qu'il débite lui-même dudit commandement qu'il a fait imprimer sans l'avoir communiqué au Consistoire suivant le dispositif de l'art. 16 du chapitre XIV des règlements particuliers de la discipline ; 5° de quitter ses Eglises d'une manière clandestine et sans congé des anciens du Consistoire et du diaconat de son arrondissement, dont il méprise l'autorité ; 6° d'avoir trompé la religion de son Excellence le ministre des cultes en accusant faussement le sieur Jean-Baptiste Roussiez de s'opposer à son ministère en cherchant à semer la division dans son arrondissement au grand scandale public. Cependant, afin de témoigner à M. Courlat " la peine " que lui causait cette mesure, le Consistoire de Monneaux chargeait les Eglises de " lui faire le même honneur en avantage, que pendant l'exercice de son ministère dans leur sein, jusquà la décision du conseil détat. C'était en somme, la lutte de lorthodoxie traditionnelle, représentée par Jean-Baptiste Roussiez, contre le rationalisme représenté par le pasteur Courlat, dont nous trouvons un épisode dans cette pénible page de l'histoire de Walincourt. Jean-Baptiste Roussiez et la grande majorité de l'Eglise de Walincourt étaient soutenus par le pasteur de Visme; alors en résidence à Valenciennes et dont le fidèle ministère itinérant leur avait été profitable pendant tant d'années avant la nomination de M. Courlat au poste nouvellement créé pour "loratoire de Walincourt ". M. de Visme suivait avec inquiétude les faits et gestes de son fâcheux collègue. Le 29 septembre 1812 il écrit à l'église de Wanquetin près d'Arras une lettre dans laquelle on lit ce post-scriptum: " M, le pasteur Courlat qui est à Walincourt depuis le mois de juillet, ne devient pas plus avisé par laliénation des esprits dans son oratoire; il fait des progrès en extravagance, comme j'espère vous le montrer par une nouvelle lettre que je viens de recevoir. Il ne fera pas voir ma réponse, comme je le pense, à beaucoup de monde, dautant plus quà peine compte-t-il quelques partisans dans son Eglise. Encore est-ce plutôt par pitié que par conviction. Après ce ministère éphémère et agité de M. Courlat fut nommé en 1813 à Walincourt un pasteur qui devait y exercer ses fonctions pendant quarante ans : M. Larchevêque (Pierre Elie, né à Luneray en 1788, consacré en 1812). 3. Le Réveil Evénements de 1814, Une lettre du pasteur De VismeÀ cette époque se place un mouvement religieux dont on ne saurait trop marquer limportance dans l'histoire de toutes les Eglises réformées, mais en particulier dans celles du nord de la France: le Réveil. Des symptômes précurseurs sont notés par le pasteur de Visme dans cette correspondance avec ses paroissiens disséminés à laquelle nous venons de faire déjà un emprunt. Ces lignes gagnent encore en intérêt si lon sefforce de les replacer dans les circonstances historiques au milieu desquelles elles furent écrites. 1841, cest de nouveau pour le nord de la France, si souvent éprouvé au cours de notre histoire nationale, par de semblables ravages, linvasion ennemie. Au commencement de l'année c'est Bernadotte qui avance en Belgique, puis Blücher dans l'Aisne. Les alliés entrent à Paris (31 mars), Napoléon abdique (5 avril). Dès la semaine suivante (le 13 avril) le vaillant pasteur de Visme se remet en campagne pour visiter les brebis dispersées; et prêcher l'Evangile de paix aux petits troupeaux si éprouvés par la guerre. Il leur expose les raisons (et certes elles étaient valables !) qui ont empêché de faire ce voyage avant Pâques comme de coutume " L'approche des troupes coalisées sur cette place forte (Valenciennes) nous a obligés, moi, ma femme et toute la famille, de quitter nos foyers et de chercher une retraite plus assurée à Cambrai où nous avons demeuré deux mois et quelques jours. Mais comme lennemi vint bientôt dans les environs de cette dernière place en prenant La Fère et ensuite Saint-Quentin, nous avions presque autant de crainte dans ce dernier asile qu'à Valenciennes. Tout ce que je pus faire avant Pâques fut daller passer deux dimanches dans mon pays natal avec la crainte dans lâme en quittant ma femme et mes enfants, de les trouver cernés à mon retour ; mais un aiguillon plus fort m'engageait à surmonter toutes ces difficultés: c'était le puissant aiguillon du besoin, celui de me procurer un peu de fonds du côté de mes parents, pour, en cas de blocus, pouvoir vivre dans une ville où déjà on ne faisait plus de crédit, ne recevant que très peu de choses du ci-devant Cambrésis où les trois quarts et demi des habitants étaient sans ouvrage, et plus rien du gouvernement. Mais enfin - grâces soient rendues au Souverain arbitre de la destinée des nations, - les choses politiques pendant mon absence, ont pris une face qui nous fait espérer un temps plus calme et plus heureux. Vous avez sans doute vu les puissances coalisées depuis leur entrée dans la capitale, et la nouvelle constitution du gouvernement provisoire qui garantit la liberté des cultes et des consciences et maintient irrévocablement la vente des domaines nationaux. Ces deux articles seuls nous mettent en repos du côté du spirituel et du côté du temporel. En espérant que les choses iront mieux que nous ne pouvions l'espérer il y a quelques mois, puissions-nous avoir écouté la verge et celui qui l'a assignée, pour notre instruction et notre édification... Il m'est arrivé des Bibles et des Nouveaux Testaments de Paris. Je tâcherai d'en transporter quelques exemplaires jusqu'à chez vous. " Etat spirituel et besoins des EglisesSix mois se passent, au cours desquels fut signé le traité de Paris (30 mai) et octroyée la charte constitutionnelle (juin). Jean de Visme organise une nouvelle tournée, et c'est alors qu'il donne des détails émouvants sur le fâcheux état spirituel de la plupart des protestants, et les efforts de quelques-uns pour préparer ce qui allait venir bientôt : le " Réveil ". Les discours que je me propose d'y donner, s'il faut en croire le jugement qu'en ont porté quelques frères de ce pays (Valenciennes et sans doute aussi le Cambrésis) ont quelque chose en eux-mêmes qui mérite l'attention de tous les chrétiens réformés qui désirent sincèrement porter leurs pas et marcher avec quelque assurance dans la voie royale du salut. La doctrine qui y est enseignée est selon moi conforme à la foi de nos pères, à celle de la plupart des Eglises réformées des pays étrangers, et selon le génie de l'Evangile du Christ. Nous avons quelque régularité dans les murs, nous pratiquons quelques devoirs de religion, et avec tout cela nous avons peu de zèle pour la religion, nous sentons peu le prix de notre rédemption, et nous ressemblons à bien des égards à l'orgueilleux pharisien qui se glorifiait de ne pas ressembler au reste des hommes, au lieu que, comme lhumble péager, nous devons tourner dabord nos regards sur la grandeur de notre corruption naturelle, sur la souillure de nos actions les plus louables, afin ne mieux apprécier le mot Evangile ou bonne nouvelle de salut en Jésus-Christ, et le pressant besoin que nous avons de la justice de ce divin Sauveur pour paraître en jugement devant Dieu. Cette manière denvisager limportant ouvrage du salut est très bien exposée dans quelques petits livres anglais dont je vous ferai part lors de mon passage. Il est dautant plus urgent de réfléchir sur ce à quoi nous en sommes par rapport à notre salut, et de ranimer notre zèle; quun docteur anglais, homme très pieux et qui de là même peut nous apprécier mieux que nous-mêmes, a remarqué en traversant la France d'un bout à lautre combien peu il y avait de religion parmi les Français, surtout ceux qui sont au Midi. C'est ce que je viens d'apprendre par une lettre que m'a adressée mon bon ami, il y a un an, prisonnier ou otage en France, et qui est actuellement dans sa patrie en Angleterre... Dieu veuille par sa grâce que nos grands maux soient enfin terminés, et qu'en jouissant d'une heureuse paix temporelle, nous ayons d'autant plus de temps pour travailler à la paix spirituelle de nos âmes ! A quoi bon, en effet tant nous inquiéter, nous qui sommes de petits individus, du règlement des affaires de ce monde, pour le peu de temps que nous avons encore à y rester, et lorsquil est infiniment plus important de régler nos affaires spirituelles pour une éternité dexistence. Ces lignes montrent bien la profonde piété du pasteur de Visme; elles donnent la substance des prédications qu'il fit entendre, durant un quart de siècle, aux Eglises du nord de Walincourt à Wanquetin ; elles expliquent avec quelle fermeté il expliquait lévangile en des temps difficiles, non seulement à lextérieur par suite des événements politiques et militaires, mais à l'intérieur par suite des progrès du rationalisme théologique ; J. de Visme apparaît comme un véritable précurseur du Réveil qui mourut (en 1819) comme Moïse au moment où son peuple allait arriver dans la terre promise ! Enfin ces lignes indiquent comment des protestants anglais, de pieux laïques, s'affligeaient de l'état de torpeur de beaucoup de leurs coreligionnaires de France; et comment ces hommes et leurs amis allaient devenir, dans les années immédiatement suivantes, les évangélistes artisans et témoins du Réveil. 1815 est de nouveau une année dramatiquement troublée par les Cent jours ; une fois de plus le Nord est sillonné par les armées en campagne ; après Waterloo le roi Louis XVIII rentre à Cambrai le 28 juin : les alliés occupent le territoire français jusquà fin novembre 1818. La société évangélique et ses premiers représentantsL'année suivante (août 1819) arrivent dans le Cambrésis trois ou quatre pasteurs et futurs pasteurs (" proposants "), envoyés par la Société évangélique continentale de Londres. Fondée en 1817 à Genève, en même temps qu'une Eglise indépendante, cette association avait pour but l'évangélisation de tous les pays de langue française (France, Suisse, Belgique) alors faisant partie du nouveau royaume des Pays-Bas). Elle avait eu pour l'un de ses promoteurs Robert Haldane qui dès 1816 parcourait l'Europe occidentale ; son influence fut décisive sur plusieurs étudiants en théologie qui deviendront des pasteurs célèbres : Frédéric Monod, Merle d'Aubigné; il leur expliquait notamment l'épître aux Romains; et la doctrine de la justification par la foi fut ainsi remise en lumière par lui, à l'aube du Réveil, comme elle avait été retrouvée par Luther et Calvin au moment de la Réforme trois siècles auparavant (en 1817 précisément on célébra le troisième centenaire des thèses de Wittemberg), Haldane était en outre un partisan convaincu de l'inspiration plénière des Saintes Ecritures (la " théopneustie "). Parmi ses disciples citons Emile Guers, consacré en 1819, Henri Pyt, Durell et Ami Bost. 4. Henri Pyt et Durell en Cambrésis (1818-1819)Henri Pyt, né à Sainte Croix dans le canton de Vaud en 1796, avait été le premier à exercer les fonctions pastorales dans l'Eglise indépendante de Genève en 1817. En 1818 il part pour la France et dessert d'abord dans le Béarn l'église de Saverdun, mais bientôt, avec d'autres agents de la Société continentale, il arrive à Valenciennes (été 1819) et l'écho de ses prédications retentit dans le Cambrésis. De petites congrégations baptistes et autres "séparatistes" se formèrent; il y eut beaucoup de trouble et d'effervescence dans les esprits; l'ivraie se trouvant comme trop souvent, hélas ! mêlée au bon grain. Le Consistoire de Monneaux interdit à toute personne sans vocation régulière de prêcher et d'administrer les sacrements dans les Eglises du département du Nord. Les agents de la Société anglaise se retirèrent; Pyt retourna dans le Béarn. Mais un de ses amis Henri Levasseur dit Durell, originaire de Jersey, mais descendant de réfugiés français, resta dans le Nord. Consacré en Angleterre en 1816, pasteur à Gand en 1819, il arrive le 19 août à Lecelles, le 22 à Saulzoir et Quiévy; il visite Nomain, Rongy, Caudry, Cambrai, Inchy, Dour. M. de Visme meurt précisément alors après un admirable ministère de trente-deux ans. L'Eglise de Quiévy adresse en février 1820 vocation à Durell, qui vient s'y fixer le 1er avril, et le Consistoire reconnaît que sa foi et sa doctrine sont conformes à la confession de foi des Eglises réformées du royaume de France. Il exerça pendant 41 ans son ministère à Quiévy, plus longtemps encore que son voisin M. Larchevêque à Walincourt. M. Casalis, dans ses souvenirs. a pittoresquement décrit Henri Pyt, qui linstruisit dans sa maison à Bayonne à partir de 1821 précisément : " Il était de très haute taille et avait les épaules fort larges. Ces proportions athlétiques contrastaient étrangement avec une voix presque féminine, des yeux bleus singulièrement doux et une chevelure très blonde, nuance que je navais jusque là remarquée que sur des têtes denfants. Il y avait quelque chose de si majestueux dans son front et de si distingué dans ses manières, que je me sentis d'abord fort intimidé, mais sa conversation et son sourire ne tardèrent pas à me rassurer. C'était la première fois que jentendais l'expression et que je voyais le reflet d'une piété simple, confiante, heureuse, exempte de tout embarras, de toute crainte servile, et brûlant de se communiquer. Je fus comme fasciné. Assis sur un tabouret Eugène Casalis était alors un petit garçon de neuf ans jécoutais avec avidité chacune des paroles de M. et Mme Pyt, trouvant à tout ce qu'ils disaient une saveur inconnue jusqualors : ils mêlaient à tout le nom de Dieu et de Jésus-Christ, naturellement, sans affectation, comme on parle entre soi dun ami, d'une personne avec laquelle on a constamment affaire. (Un an plus tard à Bayonne). Il entreprit de me faire lire et analyser avec d'autres garçons de mon âge toute l'épître aux Romains et il parvint à nous captiver. Cette étude me fit comprendre ce que c'est de se convertir. C'est alors, je crois, que Dieu toucha réellement mon cur. Chronique consistoriale (1813-1822)Daoût 1813 à juin 1818 le Consistoire de Monneaux - dont le chef-lieu était si éloigné des Eglises du Nord - n'a pu se réunir " à cause des désastres des années 1814 et 1815; ainsi que de la misère des années 1816 et 1817", Le président du consistoire, le pasteur Matile, dHargicourt, constatait. en 1817 que la cinquième section, dite de Cambrai ou de Walincourt, comprenait outre ces deux Eglises celles de Caullery, Reumont, Caudry, Honnechies, Beaumont., Bertry, Elincourt " et autres "; avec une population de 1100 protestants. Le 24 avril 1822 une ordonnance royale créait un nouveau Consistoire dont le chef-lieu serait à Lille, et qui comprenait les " oratoires " de Quiévy et Walincourt (Nord), Achicourt et Wanquetin (Pas de Calais). Construction de temples à Walincourt et autres villagesDu grand mouvement de Réveil dans les âmes, du nouvel intérêt suscité dans l'Eglise, pour le culte public; il subsiste dans un certain nombre de villes et de villages des monuments durables : ce sont les temples qui remplacèrent alors des bâtiments devenus trop petits, et souvent d'ailleurs tombant en ruines : ainsi à Landouzy en 1818, à Saulzoir, Montbrehain et Flavy-le-Martel en 1819, à Lemé en 1820, à Lannoy en 1821; à Hargicourt en 1820, à Templeux en 1821 on entreprend, des réparations importantes. Lautorisation de construire un temple à Walincourt fut accordée à condition qu'il fût dans un quartier un peu écarté ; le terrain fut acquis par le Conseil presbytéral ; un projet avec demande de subvention est envoyé le 5 avril 1821 au ministre par le Consistoire de Monneaux. L'Etat et le département fournirent en effet quelques fonds qui vinrent s'ajouter aux sommes collectées parmi les protestants. La dédicace eut lieu le 1er juin 1823, à la grande joie du pasteur Larchevêque et de ses paroissiens. Les pasteurs de Lille (Bernard de Félice), Quiévy (Henri Durell), Hargicourt (Matile), Lemé (A. Colani), y assistèrent sans doute (il n'y avait pas alors de pasteur à Saint-Quentin, ni à Nauroy, ni au Cateau). L'un des premiers enfants baptisés dans le nouveau temple fut sans doute le futur pasteur Roussiez (Jean-Baptiste-Josias). Le cimetière protestant était, comme aujourd'hui encore, contigü au temple. Ici s'arrêtera cette modeste étude : dans le temple de Walincourt inauguré en 1823 ont successivement prêché les pasteurs Ch. Vallotton (1853), V. Lebrat (1855), H. Schoen (1858), Aug. Vivier (1863), Em. Couthaud de Rambey (1872), Em. Bourlier (1874), Jon. Bisseux (1880), Paul Martin (1899). Une fois de plus occupé par l'ennemi de 1914 à 1918, le village s'est une fois de plus relevé après tant d'épreuves, le temple a été restauré, et le centenaire de sa dédicace a pu être célébré avec actions de grâces le 3 juin 1923 dans un service auquel assistait une foule de paroissiens, d'enfants de l'Eglise maintenant fixés au loin, et de membres des Eglises voisines. Conclusion Les quelques pages de cette notice retracent l'histoire de trois siècles, mais sur les deux premiers nous n'avons pu donner que bien peu de renseignements. Dans le Cambrésis soumis à la domination espagnole, à l'Inquisition, aux Jésuites, la Réforme avait bien poussé quelques racines, mais dès que la plante sacrée s'élevait quelque peu au-dessus de terre elle était brisée par l'orage. De ce protestantisme avant la Révocation, nous n'avons retrouvé guère que des traces pour ainsi dire souterraines. Mais cela était assez pour que la vie se manifestât de nouveau dès que le permettait quelque accalmie. Aux protestants du Cambrésis reprenant courage au milieu du XVIIIe siècle nous avons vu quelle aide puissante apportèrent deux appuis extérieurs : l'Eglise wallonne de Tournai et les pasteurs du désert. Appuis extérieurs, ai-je dit : et ce qui frappe, en effet, dans lhistoire du siècle qui va de 1713 environ à 1813 environ, c'est le rôle magnifique joué par deux éléments toujours unis : le témoignage fidèle dhumbles laïques et la Parole de Dieu elle-même. Si ailleurs l'apparition et les progrès du protestantisme ont été souvent liés à laction de puissantes personnalités, notamment au ministère de pasteurs remarquables, tel n'est pas le cas en Cambrésis. Sauf Charmuzy qui put consacrer quelques mois à peine à cette région, et Jean de Visme dont l'activité s'étendait si loin au-delà des limites de Quiévy ou de Valenciennes, aucun des " ministres " du XVIIIe siècle ne paraît avoir été un homme hors de pair, et la difficulté des temps a réduit le ministère de chacun à une durée trop brève.Non, ce ne sont pas les pasteurs qui ont fait la force, la vitalité, la puissance d'expansion et de conquête des Eglises du Cambrésis: ce sont quelques membres de ces Eglises mêmes, et surtout c'est la Parole de Dieu à laquelle ils se tenaient fermement attachés. Il y avait çà et là seulement dans le voisinage un grand seigneur comme le marquis de Lehaucourt ou les demoiselles de Prémont. En Cambrésis même, ce n'étaient que d'humbles gens : tantôt c'est un enfant comme le fils de Louis Bertin qui ne craint pas de répondre à larchevêque de Cambrai; tantôt c'est un tisseur, ou un paysan, ou un soldat comme Joseph Carpentier de Caudry, ou un petit propriétaire, comme Jean-Baptiste Roussiez de Walincourt, qui s'avance au premier plan pour encourager ses coreligionnaires, les défendre contre les adversaires, et même, en pleine période de persécution, pour gagner plus de prosélytes que ce ne fut le cas dans la plupart des régions de la France. C'est que ces fidèles témoins n'étaient pas seuls: ils savaient à qui ils rendaient témoignage, à Dieu lui même dont ils serraient soigneusement la Parole dans leurs mémoires et dans leurs coeurs. " Tu as des livres ", disait Fénelon à l'un d'eux, et en effet dans le cuvier caché sous terre, il y avait des livres, le Livre par excellence, la Bible ; mais surtout le contenu de ce livre était passionément étudié et retenu ; les feuillets des Saintes Ecritures étaient usés par les doigts de plusieurs générations, comme dans la Bible de la famille Roussiez. Tous les psaumes étaient sus par coeur et chantés avec entrain, avec " grand tapage " comme disait la police de Caudry ! Ce sont des Bibles que le pasteur Jean de Visme porte aux disséminés, dans les fontes de sa selle quand il chevauche à travers les campagnes. Et c'est en expliquant la Parole de Dieu, en faisant briller dans l'épître aux Romains la doctrine de la justification par la foi, que les hommes du Réveil secouent les âmes engourdies par le tourbillon de la Révolution et de l'empire, et par le rationalisme des philosophes. Puissent les laïques du XXe siècle, héritiers d'une si glorieuse et précieuse tradition, se sentir ainsi tous sacrificateurs et rois, et s'assurer la victoire en maniant ainsi l'Epée de l'Esprit, qui est la Parole de notre Dieu. Jacques PANNIER. Saint-Quentin, 1er juin 1923. (100ème anniversaire de la dédicace du temple de Walincourt). APPENDICES I. MEMBRES DE L'ÉGLISE WALLONNE DE TOURNAI DOMICILIÉS A WALINCOURT (1754-1780)
|
|