La Réforme à Saint-Quentin et aux environs

Du XVIe à la fin du XVIIIe siècle

Résumé du livre d’Alfred Daullé


Les débuts de la Réforme

Au Moyen Age, la ville de Saint-Quentin se signalait comme un des principaux centres catholiques de Picardie ; les églises et cloîtres y fleurissaient, le clergé était riche et bien considéré.

Le premier incident à Saint-Quentin pour cause d’insoumission à Rome se produisit lorsque Antoine Lenoir, libraire colporteur d’Anvers, introduisit en France, entre autres livres réprouvés, la version originale en latin de l’Institution de la religion chrétienne (1536) de Jean Calvin et la traduction française qu’en fit l’auteur lui-même. Lenoir fut condamné et dut faire amende honorable, d’une part devant l’église Notre-Dame de Paris et d’autre part devant la collégiale de Saint-Quentin. Les Saint-Quentinois, témoins de la scène, n’en semblèrent guère préoccupés et continuèrent à fréquenter assidûment l’Eglise catholique sans se poser plus de questions.

Cette situation dura jusqu’en 1557, date à laquelle la ville subit un terrible siège et fut totalement mise à sac. Tous ses habitants s’enfuirent ou furent tués.

A quelque distance de Saint-Quentin, le Laonnois reçut dès 1549 les enseignements de Calvin et de ses disciples. Même si ces derniers ne se sentaient pas toujours en sécurité, ils furent heureusement protégés par le comte de Rouci qui les accueillit dans son château fort d’Aulnoy. Peu à peu, les protestants commencèrent à pratiquer ouvertement leur culte, tant à Laon qu’à Chauny.

Malheureusement, par l’édit de Blois de novembre 1559, le roi François Ier fit savoir qu’il condamnait toute réunion de membres de la nouvelle Eglise. Son successeur, Charles IX, sembla, dans un premier temps, un peu plus accomodant. Il ordonna aux huguenots d’abandonner leurs temples mais déclara tolérer les réunions publiques, à condition qu’elles aient lieu en dehors des villes, le jour et sans armes. Les assemblées ne pouvaient cependant avoir lieu qu’après obtention des consentements du seigneur et du curé du lieu (Edit de Saint-Germain de 1561). Dans la pratique, cela équivalait à interdire toute réunion !

Les prédicants, nullement intimidés et poussés par leur foi, se rendirent alors près des remparts de Saint-Quentin. Ils prirent l’habitude de tenir leurs assemblées sur un monticule à l’endroit appelé l’Arbre d’Omissy. Bientôt un prédicant surnommé le Ramasseur[1] s’enhardit même à venir prêcher à l’intérieur de la ville[2] ! Le nombre de religionnaires s’accrut rapidement, amenant l’Eglise catholique à en référer à la cour. Le clergé mit en avant le risque qu’il y avait à tolérer des assemblées à Saint-Quentin, ville frontière où pouvaient venir des étrangers sous prétexte de prêches, au préjudice de la sécurité du pays. Charles IX n’avait alors que douze ans, mais il était patron et premier chanoine du chapitre de Saint-Quentin ! Les autorités religieuses n’eurent donc aucune difficulté à obtenir la permission d’appliquer les ordonnances relatives aux hérétiques. Non seulement l’interdiction de tenir des assemblées en ville fut renouvelée, mais on étendit cette interdiction aux faubourgs et villages n’ayant pas encore eu de ministre. Les réunions continuèrent malgré tout ce qui contraignit Charles IX, quelques années plus tard, à renouveler ses « défenses de tenir aucune assemblée de huguenots ».

Par mesure de sécurité, le Ramasseur dut s’éloigner, mais la graine était semée. Son œuvre en Vermandois fut poursuivie par Jean de l’Epine[3]. Autorisé par l’édit d’Amboise de 1562 à exercer librement le culte dans les maisons de fief, Jean de l’Epine put prêcher dans les châteaux des seigneurs de la campagne du Vermandois.

De l’autre côté de la frontière, dans le Cambrésis sous domination espagnole de Philippe II, les hérétiques continuaient à être durement pourchassés. Il en subsistait malgré tout. Ils se réunissaient entre eux pour lire l’Ecriture et allaient secrètement aux prêches en France (Tupigny, Chauny, Prémont, Séraucourt, Crépy ou Laon). Au Cateau existait un groupe de huguenots très actifs, qui se rendirent maîtres de la ville en octobre 1566. Mais celle-ci fut reprise par Maximilien de Bergues, archevêque et duc de Cambrai, qui fit brûler, pendre, décapiter et bannir les rebelles. Malgré toutes les persécutions, il y eut à la même époque beaucoup de conversions à Cambrai.

La Réforme après la Saint-Barthélémy

Au soir du 23 août 1572, la Saint-Barthélémy anéantissait un grand nombre de protestants. Des ordres venus de Paris arrivèrent au gouverneur de Picardie, Léonor d’Orléans, duc de Longueville. C’était un homme juste ; il fut frappé d’horreur et ne s’employa qu’à calmer les esprits et à réfréner le fanatisme. La Picardie fut donc relativement épargnée. Le Vermandois, où les réformés n’étaient pas encore très nombreux, fut préservé. Mais, terrifiés par les nouvelles du dehors, certains huguenots s’enfuirent et d’autres abjurèrent.

Saint-Quentin ne retrouva une vraie communauté réformée que quelques années plus tard, lorsqu’il y eut une forte arrivée de réfugiés huguenots venus de l’autre côté de la frontière. En effet, Philippe II d’Espagne continuait à persécuter cruellement ses sujets des Pays-Bas. En 1579 l’un d’eux, Armand Crommelin, vint se réfugier à Saint-Quentin. Il fabriquait des batistes et des linons. Son industrie remplaça bientôt dans la ville celle du drap et en fit dès lors la richesse. Les autorités de Saint-Quentin ne craignaient pas tant l’arrivée de nouveaux habitants que l’invasion des idées nouvelles ! On accusa donc d’espionnage certains nouveaux venus, ce qui permit d’en expulser un certain nombre.

En 1589, Saint-Quentin continuait à marquer son opposition au calvinisme. D’abord rattachée à la Ligue par idéologie religieuse, elle s’en éloigna à cette époque lorsque la Ligue évolua en parti plus politique que religieux. Les autorités saint-quentinoises signèrent alors le « Serment d’Union », mélange de fanatisme religieux et de haine. Elles juraient d’extirper l’hérésie et d’exterminer les hérétiques tout en proclamant leur entier dévouement au roi et au pape.

 A quelques lieues de Saint-Quentin, la forteresse du Catelet-les-Gouy fut un important lieu de culte. Elle se dressait au bord de l’Escaut, frontière entre France et Pays-Bas espagnols. Cette forteresse avait été bâtie en 1520, sur ordre de François Ier, par Jean d’Estrées, capitaine et grand maître de l’artillerie de France. Jean d’Estrées avait été l’un des premiers gentilshommes picards à embrasser le calvinisme. Suivant toute vraisemblance, c’est lui qui, à la faveur du traité de paix de Saint-Germain-en-Laye (août 1570), organisa un lieu de réunion en son château. Les protestants des environs, tant du côté français que du côté des Pays-Bas espagnols, purent s’y retrouver. Malheureusement la Saint-Barthélémy força Jean d’Estrées à abjurer. Par ailleurs l’édit de Nemours du 8 juillet 1585 ayant révoqué les garanties royales antérieures, les cultes cessèrent à cette époque.

Après l’avènement d’Henri IV et la remise en vigueur des anciens édits de pacification (juillet 1591), il sembla opportun de reprendre le culte au Catelet, ce qui fut fait avec la permission du roi. Le ministre Joachim Dumoulin[4] prit en charge la paroisse. Ses registres subsistent encore : baptêmes de novembre 1592 à février 1595 et mariages de 1592 à 1594. Cependant, la forteresse fut prise par les Espagnols, le pasteur s’enfuit et les cultes furent évidemment supprimés.

D’autres lieux, déjà cités, servirent encore, plus ou moins officiellement, aux réunions des huguenots : Chastel-en-Cambrésis, Tupigny, Prémont, Seraucourt, Crépy, Laon, ...


[1] Il s’agit de Philippe Véron. Procureur à Poitiers, il y rencontra Calvin et devint son disciple. Il le rejoignit à Genève et reçut de lui mission d’aller évangéliser en Poitou, Xaintonge, Angoumois, Vermandois, etc. Il mourut au village de Craux en Auvergne.

[2] La Réforme est donc apparue à Saint-Quentin à la fin de l’année 1661.

[3] Jean de l’Epine était né en 1506 à Daon (Mayenne). Il se fit moine de l’ordre des carmes. Il essaya de ramener Jean Rabec dans le sein de l’Eglise catholique.alors que celui-ci allait être brûlé comme hérétique à Château-Gontier le 24 avril 1556. Mais ce fut lui qui se convertit à la nouvalle religion ! Il prêcha d’abord  sous le froc puis se détacha ouvertement du catholicisme en 1561 lors du colloque de Poissy. On le trouve  pasteur de 1561 à 1597 dans différentes villes. Lors de la nuit de la Saint-Barthélémy, il réussit à échapper à la mort en se sauvant déguisé en domestique. Il mourut à Saumur en 1597.

[4] Joachim Dumoulin est né à Orléans en 1538. Il dessert Mouy-en-Beauvaisie (Oise) en 1565, Saint-Pierre-Aigle (Aisne) en 1576, d’où il est plusieurs fois forcé de s’éloigner pour échapper aux dangers de la guerre, le Catelet (Aisne) en 1592 et jusqu’en juin 1595. Après la prise de la forteresse du Catelet, il est nommé à Jargeau (paroisse d’Orléans) et y reste jusqu’en 1615. Il meurt trois ans plus tard à Saumur.

(Suite du Document)


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