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L’édit de Nantes Henri
IV édicta en avril 1598 l’édit de Nantes, qui ne fut enregistré par le
parlement de Picardie que le 25 février suivant[1]. L’édit
donnait, à tout seigneur haut justicier ou possédant plein fief de haubert[2],
le droit de pratiquer l’exercice de sa religion et de tenir des réunions de
religionnaires en sa maison ou fief, à condition que ce soit son
principal domicile et son lieu de résidence. Si ce seigneur était absent,
les assemblées religieuses ne pouvaient avoir lieu que si sa femme ou sa
famille résidait sur place. Par ailleurs il pouvait aussi faire exercice de sa
religion dans ses autres maisons de haute justice et de haubert, à condition d’être
présent. Dans les maisons de son fief qui n’avaient pas ce caractère,
l’exercice était licite pour la famille seulement, exception faite pour les
baptêmes, visites d’amis ou autres, à condition que ces maisons ne soient
pas dans une ville appartenant à un seigneur haut justicier catholique, si ce
n’est alors avec la permission de ce dernier. En outre, dans chaque bailliage,
sénéchaussée et gouvernement, était prévu un endroit où le culte se ferait
publiquement (article XI). Trois
commissaires furent chargés par le roi de faire appliquer l’édit en
Picardie. Ces « commissaires de l’édit » furent Chaulnes,
Longrenier et Jeannyn. Par
ordonnance rendue à Magny-la-Fosse le 2 septembre 1599, les commissaires décidèrent
que l’exercice public de la religion réformée en Picardie serait établi à
Desvres[3] et au Haucourt. Cependant
les protestants, après en avoir fait la demande au roi Henri IV, n’avaient
pas attendu l’enregistrement de l’édit pour reprendre l’exercice de leur
religion au Catelet. De fin 1598 à 1599, plusieurs actes pastoraux furent notés
sur les registres du Catelet miraculeusement conservés malgré la prise de la
forteresse par les Espagnols. Le pasteur de cette époque était Jehan
Duperche[4], mais d’autres
pasteurs apparaissent aussi sur certains actes. (Jacques de Veines, pasteur à
Crépy ou Zacharie Richard, pasteur de Lœuilly). Les protestants désiraient
garder leur lieu de culte au Catelet, mais ils n’obtinrent pas satisfaction.
On leur objecta que la place était peu sûre - ce qui était vrai - et risquait
de passer à nouveau aux mains des ennemis. On leur fit valoir aussi que Le
Haucourt avait une situation bien meilleure. De plus ce n’était qu’à deux
lieues de Saint-Quentin par le vieux chemin dit des bannis[5].
C’était aussi assez proche de Bohain, où s’étaient réfugiés beaucoup
d’hérétiques du Cambrésis espagnol, et atteignable par les réformés de
Thiérache. Le pasteur Duperche abandonna donc l’exercice de la religion au
Catelet pour le pratiquer au Haucourt. Il dut se loger à Bohain, n’ayant pas
pu obtenir le droit de résider à Saint-Quentin. En effet, les magistrats de la
ville regardaient toujours ceux de la nouvelle religion avec autant de méfiance.
De ce fait, ils avaient édicté depuis le 31 mars 1599 une ordonnance de police
défendant aux étrangers de résider dans la ville sans permission de ses
magistrats. Dans la pratique, la permission était accordée à ceux des réfugiés
qui pouvaient apporter richesse et profit à la ville. Quant aux autres, ils étaient
refoulés. A
partir de 1601 et jusqu’en 1607, le ministre du Haucourt fut David
Richier. Plus gâté que son prédécesseur, il obtint le droit de
se loger à Saint-Quentin avec sa femme, Marguerite Gellé. Les Saint-Quentinois
restaient cependant très opposés aux huguenots. En décembre 1602, ils adressèrent
une remontrance au roi. Ils y accusaient ceux de la R.P.R. (religion prétendue
réformée) de faire grand trafic de toilettes[6],
de s’enrichir et d’acheter des seigneuries où ils faisaient travailler des
laboureurs réfugiés venant de l’autre côté de la frontière. Ils
soulignaient le danger représenté par ces étrangers dont certains pouvaient
être de « dangereux espions ». Henri IV ne leur donna guère
gain de cause et répondit en rappelant que les règlements de police devaient
s’appliquer à tous, quelle que soit la religion. Les
autorités de Saint-Quentin inquiétèrent aussi Nicolas Philippe, huguenot
condamné pour avoir reçu chez lui son frère, sa fille et son gendre sans en
avoir demandé la permission. Philippe fut en outre accusé d’avoir tenu des
assemblées chez lui et d’avoir chanté des psaumes à haute voix, au grand scandale de ses voisins. Nicolas Philippe en
appela au parlement, qui trancha en ajournant purement et simplement la cause. De
toutes façons, malgré l’édit de Nantes, l’heure de la réconciliation
n’était pas encore venue. Les catholiques, tant officiers du roi qu’autres
personnes, ne manquaient pas une occasion de causer préjudice à ceux de la
nouvelle religion. Par exemple, ils s’introduisaient dans les colloques pour
en troubler les délibérations. Après
Richier, ce fut le pasteur Duval[7]
qui vint soutenir l’Eglise du Haucourt, de juin 1607 à 1610. Son successeur,
le pasteur Pierre Brisbar, et plusieurs coreligionnaires adressèrent une requête aux
« commissaires de l’édit », demandant de pouvoir faire
l’exercice du culte dans les faubourgs de Saint-Quentin et d’ouvrir une école
pour les enfants protestants. Interrogées par les commissaires, les autorités
de Saint-Quentin ne se laissèrent nullement impressionner. Non seulement elles
cherchèrent à contrer ces demandes, mais elles en profitèrent pour attaquer
les protestants sur un autre terrain. Il s’agissait des enterrements. Les
magistrats de Saint-Quentin demandèrent que les protestants aient obligation
d’enterrer leurs morts sans grande assemblée et qu’ils soient soumis à
autorisation quant à l’heure d’inhumation. Les commissaires commencèrent
par donner raison aux magistrats Saint-Quentinois sur ce dernier point... Quant
à la demande d’exercice de culte dans les faubourgs et de création d’école,
les autorités firent intervenir auprès de Sa Majesté le vicomte d’Auchy,
gouverneur de Saint-Quentin, et rien ne fut accordé aux protestants. La
charge de Brisbar dura jusque vers 1617, date à laquelle on ne trouve plus
trace de sa signature dans les actes pastoraux du Haucourt. En
1623, Isaac de Juigné ne resta que
quelques mois pasteur de l’Eglise de Saint-Quentin et fut bientôt remplacé
par Jean Mettayer[8]. Les vexations
continuaient de plus belle. En 1630, on intenta un procès à Josué Bertin,
tailleur d’habits huguenot, pour avoir fait remuer ses ciseaux le dernier jour
de la Notre-Dame ! Quelques années plus tard, Marie Warquin était condamnée
pour avoir installé une buerie[9]
sur l’île Saint-Quentin, lieu où on avait trouvé le corps martyrisé du
saint patron de la ville. Cependant,
les faits politiques ne laissaient pas d’inquiéter les réformés du
Vermandois. Richelieu avait déclaré la guerre à la maison d’Autriche et
rompu avec les Espagnols[10]. L’exercice au Haucourt
menaçait d’être entravé. Il fallait chercher un autre lieu de culte. Dans
cette perspective, messire Robert de Saint-Delys, chevalier, baron de Heucourt,
seigneur haut-justicier de Heucourt, Urvillers et autres lieux, recourant aux
dispositions de l’édit de Nantes, nomma en 1636 sa maison seigneuriale d’Urvillers
pour son principal domicile auquel il entendait faire l’exercice de la R.P.R.
Les événements lui donnèrent raison. Le frère du roi d’Espagne, gouverneur
des Pays-Bas, envahit la Picardie, la Thiérache, le Vermandois, le Santerre,
l’Amiénois et le Ponthieu. Ses troupes étaient constituées de mercenaires
polonais, hongrois et croates, à l’aspect terrifiant. Rendus encore plus
sauvages par le non-paiement de leur solde, ils massacrèrent, pillèrent, brûlèrent,
violèrent. Les malheureux survivants se réfugièrent dans les nombreux
souterrains de la région, mourant de faim et de maladie. Le Haucourt fut au
nombre des villages brûlés et détruits. Une fois encore, les registres de
l’Eglise, sans doute précieusement mis à l’abri, furent préservés. On
ne sait si l’exercice de la religion put avoir lieu un temps, comme prévu,
chez Robert de Saint-Delys. Ce dernier fut prévenu, très certainement à tort,
de trahison, condamné à mort, ses biens confisqués et il fut décapité
devant la citadelle d’Amiens le 11 septembre 1638, ce qui éliminait un
seigneur huguenot considéré comme trop actif. Il semble par contre que des
actes paroissiaux furent pratiqués à Villers-Saint-Christophe, vieille localité
où s’était implanté le calvinisme depuis près d’un siècle et annexe de
l’Eglise de Saint-Quentin[11]. Au
début de l’année 1641, le culte et les actes paroissiaux purent avoir lieu
au château de Pommery, dont madame de Barisy[12],
fidèle adepte de la religion réformée, avait l’usufruit. Désireuse de
respecter les édits, madame de Barisy, deux années auparavant, avait très
officiellement averti les officiers du roi de son intention d’accueillir ses
coreligionnaires. Elle avait fait toutes déclarations nécessaires au greffe.
Cependant, à peine les premières réunions avaient-elles eu lieu que les
oppositions affluèrent. On reprocha à madame de Barisy de n’être
qu’usufruitière. On fit remarquer qu’elle n’habitait pas sur place, mais
en fait à Saint-Quentin. D’autre part, Pommery n’était pas fief de
haubert. Il était de plus à craindre que, la
maison étant isolée au-delà de la Somme, les ennemis ne s’en
emparassent, sous prétexte d’aller au culte, puis une fois sur place, ne
soient en position d’investir Saint-Quentin. Toutes ces attaques portèrent
leurs fruits ; quinze jours ne s’étaient pas écoulés que l’intendant
de justice interdisait l’exercice de la religion réformée à Pommery. En
outre, il déclarait que les protestants pourraient reprendre l’exercice de
leur religion au lieu « destiné à cet effet », c’est-à-dire au
Haucourt. Renvoyés dans un temple qui avait été démoli pendant la guerre
depuis quatre ans passés, les huguenots réclamèrent et obtinrent, six mois
plus tard, un arrêt du Conseil renvoyant l’affaire à l’avis du roi. Il ne
fallut pas moins de deux ans pour qu’un avis favorable fut enfin rendu et que
les cultes à Pommery reprennent (décembre 1643). Malheureusement,
les problèmes n’étaient pas terminés. En effet, madame de Barisy mourut en
février 1646 et les héritiers de Pommery, bons catholiques, prièrent les réformés
de vider les lieux. Néanmoins ceux-ci purent se maintenir à Pommery jusqu’en
1650. Cependant,
il fallait absolument trouver un autre lieu pour les assemblées religieuses.
Les huguenots chargèrent leur député général d’intervenir auprès du roi
et, finalement, ce dernier ordonna au lieutenant général de Saint-Quentin de régler
le problème (lettre de cachet du 16 mai 1653). Les choses continuant à
traîner, quatre ans passèrent avant que l’intendant ne désigna le village
de Dallon. En apprenant cette décision, le pasteur Jean Mettayer fut atterré :
il ne voulait pas de ce lieu ! Les huguenots avaient attendu cette réponse
si longtemps qu’ils avaient eu le temps de réfléchir au problème et ils
avaient d’autres vues ! En effet, l’Eglise de Saint-Quentin possédait
au Haucourt un petit terrain laissé en héritage par madame de Barisy. Elle détenait
aussi une somme non négligeable provenant de divers dons[13],
somme avec laquelle elle comptait acquérir un terrain pour agrandir celui de
madame de Barisy. L’Eglise souhaitait donc que ses assemblées aient lieu au
Haucourt et non à Dallon. Soutenu par un ancien d’Eglise, Louis Crommelin,
Jean Mettayer reprit les mêmes objections qui avaient été faites par ses
adversaires eux-mêmes lors d’un précédent projet ; il fit remarquer
que Dallon était situé à proximité immédiate de Saint-Quentin et pourrait
être facilement investi par les ennemis, ce qui représenterait un grand péril
pour la ville. Cette objection fut sans doute prise en considération car on
abandonna le projet de Dallon. Survint
le traité des Pyrénées en novembre 1659, qui mit fin à la guerre contre
l’Espagne. Le moment sembla plus propice pour entreprendre la construction
d’un nouveau temple, auquel serait adjoint une maison consistoriale. On commença
par bâtir un édifice provisoire, c’est-à-dire une grange, dans le jardin du
seigneur du Haucourt. Pendant ce temps, l’Eglise de Saint-Quentin acquit par
acte notarié du 20 janvier 1662 passé devant maître Langellerie, notaire
royal à Saint-Quentin, le terrain contigu au petit héritage de madame de
Barisy, le tout se trouvant à peu près à l’emplacement de l’ancien temple
détruit par la guerre. Les
travaux commencèrent. Cependant, l’évêque de Noyon voyait avec colère le
temple s’élever. Il brandit bientôt des arguments destinés à stopper la
construction : ces travaux étaient contraires aux édits et ordonnances,
l’endroit était à vue de l’église catholique paroissiale, d’où il résultait
qu’on pourrait y entendre les prêches réformés ! Devant ces
accusations, le roi ordonna d’interrompre les travaux et d’ »assigner
les parties au mois ». Une procédure touffue s’en suivit, au début de
laquelle l’Hôtel de ville trouva bon d’interdire aux huguenots la place du
marché et les chemins menant au Haucourt. Les protestants se plaignirent au
bailli qui les renvoya se pourvoir ailleurs. Les
magistrats de Saint-Quentin intervinrent ensuite dans les débats de l’affaire
qui opposait les huguenots à l’évêque et demandèrent l’interdiction
complète de construire. Ils prétendirent que les réformés étaient résolus
à bâtir une forteresse pour investir
Saint-Quentin. Puis, poussés par la jalousie et l’intolérance, ils
poursuivirent : « ... et quand
il n’y auroit autre chose que de les voir aller comme une espece d’arméé
les uns en carosse, les autres en charrette, les autres a cheval traverser une
ville toute entiere, il seroient impossible d’eviter tous les malheurs que
peult causer dans une ville ou tout le monde se cognoist l’antipathie qui nest
jamais plus forte que par la difference de la religion mais qui s’augmenteroit
encor par la pompe de leur equipage parce quencor que ceux de la religion
pretendue reforméé sont tous marchandz qui ont estably une manufacture de
toille de soye et un trafficq de toille et une correspondance avec les
hollandois, il ny a point de carosses dans la ville que ceux quilz ont et y
cheminans en cette equipage pour aller au presche il seroit impossible de
contenir le peuple qui ne pourroit porter quavec peine ce fast et cette
ostentation, etc. » Ce
n’est qu’à fin 1662 qu’une décision intervint. Le parlement enjoignit
aux protestants de se comporter plus modestement et de ne commencer leur prêche
qu’à l’issue de la messe. Si certaines conditions étaient remplies (taille
du temple limitée, interdiction d’adjoindre
un clocher ou une tour), la construction pouvait reprendre. Cependant l’évêque
de Noyon, dont l’humeur n’arrivait pas à s’améliorer en voyant les murs
monter, était à l’affût de nouvelles attaques contre les religionnaires. Il
eut vent de ce que le pasteur Jean Métayer prêchait, non seulement dans son
lieu de culte principal mais, en plus, dans ses annexes. Or, par déclaration de
décembre 1634, Louis XIII avait défendu
aux ministres de la R.P.R. de « faire prêche ni autre exercice sinon au lieu de leur demeure ».
Lorsque cet édit fut confirmé par Louis XIV en octobre 1664, alors que le
temple continuait à s’édifier, l’évêque trouva l’occasion de se venger
et dénonça le pasteur. De
leur côté, les réformés, confiant en la justice de leur roi, adressèrent
une requête à son ministre Colbert. Ils y dénonçaient toutes les vexations
qu’ils avaient subies de la part des autorités de Saint-Quentin. Ils se
plaignaient que les celles-ci les traitent d’espions, chassent certains
d’entre eux de la ville, fassent plus peser les taxes sur eux que sur les
autres habitants, les contraignent à loger gratuitement les gens de guerre
alors que les autres logeurs avaient droit à un dédommagement. Colbert étudia
le problème. Il mit près de deux ans à répondre et, dans un souci de
justice, ordonna aux autorités de Saint-Quentin de répartir de la même façon
l’ustensile[14]
des officiers du roi sur tous les habitants, quelle que soit la religion du
logeur. Une sommation adressées trois mois plus tard par les auteurs de la requête
aux mayeur et échevins de la ville montre que, malgré les ordres de Colbert,
les autorités Saint-Quentinoises continuèrent à agir comme auparavant, tout
au moins pendant un temps... Après
la fin de sa construction, le temple du Haucourt donna enfin aux huguenots un
lieu convenant à l’exercice de leur religion. Mais, pour aller de
Saint-Quentin au Haucourt, le chemin était long ; il fallait parcourir
huit kilomètres ! Ceux qui allaient à pied empruntaient un chemin nommé chemin
des bannis. Il leur fallait deux
bonnes heures à travers les fondrières pour aller et autant pour revenir...
Pour y aller en carriole, il fallait prendre un chemin plus carrossable qui nécessitait
un détour. La surface de la paroisse coïncidait, ou peu s’en faut, avec
celle du Vermandois au 17e siècle. Elle comprenait vraisemblablement
les cantons du Catelet, Bohain, Vermand, Saint-Quentin et Saint-Simon, la
portion du canton de Guise située sur la rive droite de l’Oise, la presque
totalité du canton de Moy dans l’Aisne, une partie des cantons de Ham et de
Roisel dans la Somme, les villages de Villers-Outréaux, Malincourt et autres
dans le Nord. Le
7 février 1668, l’Eglise de Saint-Quentin eut le malheur de perdre son
ministre Jean Mettayer. Il s’était dévoué corps et âme à ses
coreligionnaires. Les vingt-six chefs de famille de la paroisse demandèrent au
synode de Charenton de bien vouloir nommer son fils Samuel
Mettayer pour lui succéder. A vrai dire, le synode avait déjà depuis huit
ans nommé Samuel Mettayer en tant que ministre adjoint de l’Eglise de
Saint-Quentin, mais les autorités de la ville ne l’avait jamais reconnu comme
tel, sous prétexte que les édits ne prévoyait qu’un seul pasteur par
paroisse. Cela leur avait permis en outre de lui appliquer des taxes dont les
ecclésiastiques étaient normalement exempts... Les
vexations continuelles et les difficultés variées rencontrées par les réformés
finirent par porter leurs fruits. En 1670, une dizaine d’entre eux, avait
adressé une requête aux autorités de la ville pour obtenir la permission de
former une corporation de marchands de toilettes en se réunissant à quelques
marchands catholiques. Fatigués et doutant d’un meilleur avenir, ils affirmèrent
s’être ralliés à la religion catholique, apostolique et romaine. C’était
des hommes brisés qui en arrivaient là. Trois d’entre eux, protestants de
toujours, avaient signé peu avant
la demande de nomination de Samuel Mettayer. Certains, tiraillés par leur
conscience, n’arrivèrent d’ailleurs pas à apposer leurs signatures en bas
de la requête. Mais cette déclaration de catholicité n’empêcha pas les
autorités de continuer, comme auparavant, à leur imposer des charges en
nature, comme aux autres huguenots (lit, tables chaises, etc., pour la femme du
gouverneur). En fin de compte, plusieurs de ces malheureux moururent sans avoir
vraiment abjuré suivant les règles. Cependant,
malgré tous les efforts du clergé et des mayeur et échevins de Saint-Quentin,
la Réforme continuait. Malgré les persécutions, le nombre de religionnaires
avait encore augmenté. On en trouvait même parmi les anciens capucins de
Saint-Quentin ![15]
Le scandale atteignit son comble lorsqu’on apprit la conversion de la supérieure
de l’Hôtel-Dieu de Saint-Quentin, sœur Agnès. Celle-ci dut quitter précipitamment
son couvent et se réfugier à Genève. La
reprise de la guerre avec l’Espagne en octobre 1673 provoqua encore d’autres
soucis. Par deux fois, le nouveau pasteur, au mépris de l’article 44 de l’édit
de Nantes, dut recevoir chez lui des gens de guerre envoyés par le fourrier de
la garnison. Samuel Mettayer protesta vigoureusement et assigna au Conseil privé
les mayeur et échevins. Mais le roi rejeta sa demande, ce qui donna aux autorités
l’idée d’envoyer chez le ministre un capitaine et deux cavaliers supplémentaires !
Il est vrai qu’au même moment, vu les nécessités de la guerre, plusieurs
chanoines étaient eux-mêmes mis en demeure de loger des militaires. Autre
problème de cette époque : celui des pierres tombales. Suivant les directives,
les enterrements des protestants se faisaient maintenant sans aucune solennité
extérieure et les tombes étaient juste recouvertes d’une petit monticule de
terre. Le riche Samuel Crommelin voulut cependant poser une pierre sur la tombe
de son père[16]. Il en demanda la
permission au consistoire de Saint-Quentin et l’obtint. Cela choqua les autres
huguenots qui firent appel au synode de Charenton. Ce dernier désavoua le
consistoire, prescrivit de laisser ce qui avaient été fait « en l’état »
et ordonna de ne pas renouveler pareille erreur à l’avenir. Ces malheureuses
dissensions entre protestants arrivèrent à la connaissance des catholiques. Dès
qu’ils eurent vent de cet incident, qui les mit aussitôt en éveil, ils allèrent
observer la pierre incriminée. Une phrase gravée attestait l’espoir que l’âme
du défunt ressusciterait à la fin des temps pour aller au ciel. Ce fut intolérable !
Ils ne pouvaient déjà admettre qu’un huguenot se fut attribué une pierre
tombale semblable aux leurs. Mais c’était de plus particulièrement
scandaleux qu’une phrase gravée prétende qu’un hérétique aurait le droit
aller au ciel. L’évêque de Noyon envoya une requête à monsieur de
Breteuil, intendant de Picardie. Il en profita pour demander qu’à l’avenir
les protestants n’aient plus le droit d’avoir un cimetière à l’intérieur
de la ville. Cependant il ne semble pas que cette demande de l’évêque ait
abouti. Les
différents moyens employés pour ruiner l’industrie des protestants de
Saint-Quentin ayant échoué, les autorités imaginèrent d’ériger deux de
leurs manufactures[17] en maîtrises. C’était
la mainmise sur ces fabriques : leur exploitation par un syndicat électif
auquel le roi pouvait ajouter à son gré de nouveaux membres, la possibilité
d’expulser les ouvriers « mal pensants ». Les propriétaires
huguenots se défendirent en envoyant un mémoire à Colbert. Celui-ci
intervint auprès de l’intendant de Picardie en ces termes : Monsieur,
...
Je vous envoye un memoire qui m’a esté donné concernant les manufactures de
Saint-Quentin. Il seroit bien nécessaire d’avoir une attention particulière
à cette ville la, soit pour travailler à la conversion des huguenots qui y
sont en grand nombre, soit pour empescher qi’ils n’en sortent, et ne s’en
aillent en hollande, et pout y maintenir les manufactures considerables qui y
sont establies... Je
suis monsieur Vostre tres humble et tres affectionné serviteur. A
Fontainebleau le 13e aoust 1681
Colbert
L’affaire
en resta là. Un
autre industriel, Jehan Vasselart, fabricant de gaze, se trouva ruiné par
l’obligation qui lui fut faite d’ôter sa buerie du faubourg Saint-Nicaise.
Il eut le tort de s’en plaindre devant témoins, fut arrêté et réussit néanmoins
à s’enfuir. Au
fil du temps, le roi Louis XIV, qui
ne voulait plus de nouveaux huguenots dans son royaume, prit des mesures de plus
en plus dures contre les réformés. Il décida par exemple d’affranchir les
enfants dès l’âge de sept ans de l’autorité de leurs parents dans les
choses religieuses. Ces enfants pouvaient abjurer sans que leurs père et mère
pussent s’y opposer. La situation finit par devenir intolérable. Beaucoup de
familles partirent en exil ou s’apprêtèrent à le faire. A Saint-Quentin,
les autorités municipales elles-mêmes finirent par s’émouvoir. Certes,
elles cherchaient par tous les moyens à humilier les huguenots mais, si ceux-ci
s’en allaient, les manufactures disparaîtraient et avec elles la prospérité
de la ville ! L’Hôtel de ville en informa l’intendant de Picardie,
monsieur de Breteuil, qui en référa au ministre. Pour
entraver les départs du royaume de ses sujets huguenots, Louis XIV prit
plusieurs mesures. En juin 1681, il fit défense à tous ceux de la R.P.R.
d’envoyer et de faire élever leurs enfants dans les pays étrangers avant
l’âge de seize ans. Ceci laissait entendre que, si des parents s’en
allaient, on ne leur permettrait pas d’emmener leurs enfants. Par ailleurs,
dans une déclaration du 14 juillet 1682, il avertissait les réformés (et
leurs acheteurs éventuels) que les ventes d’immeubles qu’ils feraient moins
d’un an avant de sortir du royaume seraient frappées de nullité et les
immeubles confisqués. Cependant
beaucoup de huguenots continuèrent à s’enfuir après avoir réalisé leur
fortune à l’avance et avoir enlevé meubles et marchandises. Les plus
prudents partaient par Paris, les plus pressés par Valenciennes. En
1683, l’Eglise de Saint-Quentin, loin de retrouver la sérénité, dut subir
encore de dures épreuves. Un de ses membres, Pierre de Noyelle[18],
linier à Bertaucourt (annexe de Pontru) avait pour apprenti le jeune Ambroise
Pointier, à qui il fit lire quelques livres interdits et qu’il emmena au
temple du Haucourt. Depuis 1680, il était formellement interdit à un
catholique de changer de religion. Le jeune Pointier, soupçonné de s’être
converti, fut dénoncé par une personne bien intentionnée. Il fut arrêté et
condamné à faire amende honorable en carcan en l’audience du lieutenant
criminel et à une amende de « quarante livres vers le roi ». Un
mois plus tard, il était toujours en prison. Soutenu de l’extérieur par son
patron et ami Pierre de Noyelle, il prit part à une sédition des détenus dans
le but de s’évader. Mal lui en prit car ce projet échoua et lui valut, outre
une nouvelle amende de soixante livres, une condamnation à cinq ans de galères !
Pierre de Noyelle fut, à son tour, arrêté pour avoir participé à un complot
avec les prisonniers. Il était en outre accusé d’avoir voulu convertir un
catholique. Dans
le même temps, les doyen, chanoines et chapitre de l’église royale et pro-épiscopale
de Saint-Quentin se portèrent demandeurs contre trois autres membres de l’Eglise
huguenote : Samuel Mettayer, Elisabeth Bossu[19]
et Marie Testart[20]. Six chefs d’accusation
étaient dressés contre le ministre Mettayer. 1)
De tenir des assemblées secrètes dans sa maison. 2)
D’avoir pratiqué des baptêmes dans la ville de Saint-Quentin et non pas
uniquement au Haucourt. 3)
D’avoir souffert que des ministres étrangers prêchassent. 4)
D’avoir laissé des catholiques, dont Pointier et un certain Luxembourg,
s’introduire dans son prêche et des relaps y faire profession de foi R.P.R. 5)
D’avoir amené plusieurs réguliers et séculiers à professer sa religion. 6)
D’avoir rendu relaps plusieurs convertis. De
leur côté, Elisabeth Bossu et Marie Testart étaient accusées d’avoir
contribué à la conversion des deux capucins et de la religieuse dont il a été
question précédemment (le père Constantin, le père Delafons et la sœur Agnès). Les
accusés se défendirent habilement, point par point. Mais les accusateurs
soutinrent leurs griefs et demandèrent de joindre au procès la cause
d’autres hérétiques. à savoir Pierre de Noyelle, deux autres ouvriers en
soie et une servante, ces trois derniers catholiques convaincus de s’être
nouvellement convertis[21]. Après
délibérations, le nommé Luxembourg et la servante furent condamnés à faire
amende honorable, corde au cou, devant l’église de Saint-Quentin et au
bannissement perpétuel. Les ouvriers catholiques convertis furent condamnés à
faire amende honorable et aux galères. Pierre de Noyelle dut faire amende
honorable, payer « cent livres d’amende vers le roi » et fut banni
pendant cinq ans du bailliage de Vermandois. Samuel
Mettayer fut condamné à « six cents livres d’amende vers le roi »
et interdit de ministère dans le royaume pour toujours. Elisabeth Bossu fut
condamnée à être admonestée en présence des gens du roi et à trois cents
livres d’amende. Quant au jugement de Marie Testart, il fut remis à plus tard. Samuel
Mettayer, Elisabeth Bossu et Marie Testart en appelèrent à la sentence du
parlement. Le 17 juillet 1684 le jugement définitif interdisait l’exercice et
la fonction de ministre à Samuel Mettayer mais seulement pendant six mois,
temps durant lequel le temple du Haucourt serait fermé. Les deux femmes étaient
condamnées à être admonestées et à payer chacune trois cents livres
d’amende. La
sentence du lieutenant criminel, même atténuée par la cour du parlement,
confirma aux protestants leur situation précaire. Ils avaient, par ailleurs,
connaissance des nouvelles rigueurs imposées dans toute la France. Cet état de
choses les incita d’autant plus à quitter le pays. Nombreux
furent ceux de Saint-Quentin qui vendirent meubles et effets et partirent
avec leur argent disponible, parfois même avec leurs marchandises. [1] Les autres parlements firent encore plus de difficultés. Celui de Rouen n’enregistra l’Edit de Nantes qu’en 1609. [2] La haute-justice comportait pleine juridiction au civil et au criminel. D’abord exercée par les seigneurs au Moyen-Age, elle put l’être ensuite par les prévôts et baillis. Elle s’opposait à la Basse justice (ou moyenne justice), exercées seulement par de petits seigneurs ou par des communes et ne portait que sur des causes de faible importance. Le fief de haubert était un fief qui obligeait son possesseur à servir le roi à la guerre avec droit de porter le haubert. [3] En fait, le prêche fut transféré à Mark (80) puis à Guisne (80). [4] Jehan Duperche était né vers 1571 à Alençon. Après son départ de Picardie, on le retrouve, sous le nom d’Antoine Duperche, pasteur à Montdoubleau (Anjou). Il fut déposé par le synode national de Vitré pour avoir « abandonné son Eglise ». Il finit par abjurer. [5] Cela représente quand même environ huit kilomètres ! [6] Les toilettes étaient des baptistes et linons écrus. [7] Duval avait d’abord été gardien du couvent des capucins à Saint-Omer. C’est là qu’il se convertit. Il fut nommé ministre de l’Eglise du Touquin (Brie). Enlevé par le prévôt en 1604, il fut conduit et emprisonné à Arras. Les protestants en appelèrent à Henri IV en se plaignant d’une violation de l’Edit de Nantes. Duval repartit à Touquin puis fut nommé au Haucourt. [8] Jean Mettayer était né en 1600 à Dammartin, près de Paris, fils de Christofle et et Jeanne Cochard. Il fit des études théologiques dès 1620 à Genève puis à Sedan Il mourut le 7 mai 1668. C’était un homme sage, fidèle, discret, fin lettré. Il est l’auteur d’une traduction latine d’un ouvrage de J. Daillé. [9] Une buerie est le lieu composé de prés où on blanchit les toiles. [10] Déclaration de guerre du 26 mars 1635. [11] L’église de Villers-Saint-Christophe servait simultanément aux cultes catholiques et protestants. [12] Madame de Barisy était d’origine lorraine. Son grand-père, Michel de Barisy, de vieille noblesse, avait embrassé la Réforme dès 1543. [13] Outre 3000 livres laissées par madame de Barisy, un don de 500 livres tournois avait été fait par demoiselle Charlotte Deffossez, fille de Jehan, écuyer, seigneur de Monchy et autres lieux, demeurant à Saint-Quentin. [14] L’ustensile est le droit de logement chez l’habitant pour les militaires en marche. On devait leur fournir le lit, le pot, la place au feu et à la chandelle. [15] Le père Constantin se fit huguenot et partit en Hollande où il fut reçu ministre. De retour en France, il fut arrêté près de Saint-Quentin et incarcéré dans la citadelle de Ham sous la fausse inculpation d’espionnage. Le père Delafons, du même couvent, se convertit aussi puis dut vivre caché. [16] Pierre Crommelin, mort le 25 janvier 1678. [17] Une manufacture de toile de baptiste et une manufacture de toile et de gaze de soie. [18] Pierre de Noyelle était né vers 1662 à Pontruet (02). [19] Elisabeth Bossu était veuve de Jacques Léger. [20] Marie Testart était l’épouse de messire Pierre de Vilette, écuyer de la Vaysse, capitaine du régiment boulonnais. [21] Il s’agit de Jacob Picard, d’Isaac Roger et de Françoise Laberteque. D’après leurs noms, on peut penser qu’ils n’étaient pas catholiques de vieille date mais bien nés dans des familles huguenotes. Ils furent accusés de s’être convertis et d’avoir fui en Hollande. |
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