Comment identifier des ancêtres protestants ?

Quelques indices pour les identifier dans les registres paroissiaux catholiques

un aide-mémoire préparé par Jean-Paul Roëlly  

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La France du XVIIe siècle comptait un nombre important de protestants. Malgré l’émigration consécutive à la révocation de l’édit de Nantes en 1685, beaucoup de nos contemporains cherchant leurs racines ont des chances de tomber à un moment ou un autre sur des protestants. Mais la révocation a eu pour effet, entre autres, de supprimer totalement l’état civil des protestants. En fait, en raison des brimades en tous genres, des destructions de temples, des condamnations de pasteurs, etc., la disparition des sources spécifiquement protestantes a commencé bien plus tôt. Les protestants n’ont retrouvé une identité officielle qu’avec l’édit de Tolérance en 1787. Comment dès lors identifier ce qui n’était pas, ce qui ne pouvait pas être officiel pendant plus d’un siècle ?

L’histoire familiale du XXe siècle nous permet de connaître, dans la plupart des cas, la religion des individus de nos familles. En remontant dans le temps, l’exercice est plus difficile. Néanmoins il existe des pistes, des indices que l’on trouve à l’intérieur des registres paroissiaux catholiques (appelés parfois indûment registres de catholicité).

Les curés étaient les seuls officiers d’état civil légaux (le but de l’état civil a toujours été le même : connaître le nombre de citoyens capables de payer l’impôt, le nombre d’hommes disponibles pour les armées). Or ils n’enregistraient pas des naissances et des décès, mais des baptêmes et des sépultures faits suivant les rites catholiques. De ce fait, le baptême des enfants protestants était un baptême forcé (ce n’est, à notre connaissance, que très récemment dans le cadre de l’œcuménisme que le baptême des protestants a été reconnu valable par Rome et encore avec un certain nombre de restrictions).

Les prénoms

Les prénoms sont les premiers indices visibles. La lecture assidue de la Bible, qui était de rigueur chez les huguenots, les a familiarisés avec des personnages dont ils ont voulu donner les prénoms à leurs enfants. Ainsi, on peut affirmer sans crainte, quand il ne s’agit pas de familles juives, que la quasi totalité des porteurs de prénoms bibliques : Abraham, Isaac, Jacob, Néhémie, Nathanaël, Osée, pour les garçons, de même que Esther, Judith, Ruth, Sarah, etc., pour les filles, sont des enfants dont les parents eux-mêmes étaient protestants. C’est aussi souvent vrai pour les Daniel, David, Gabriel, Joachim, Théodore, Théophile, Timothée, etc. Ceci ne veut pas dire que tous les enfants protestants avaient des prénoms bibliques, loin s’en faut, mais que l’usage des prénoms cités ci-dessus n’avait pas cours dans le monde catholique de l’époque. Cette constatation n’est pas valable seulement en Picardie, elle est vérifiée aussi en Normandie, dans la Drôme, en Suisse francophone, etc.

Les baptêmes

Dans certains cas les choses sont simples, les parents sont dits non catholiques, hérétiques, adeptes de la secte de Calvin, membres de la religion prétendue réformée (R.P.R.), etc.

Dans les autres cas, une lecture attentive des actes est nécessaire et il faut analyser la notion d’illégitimité. Les enfants protestants sont parfois dits illégitimes, c’est le cas en particulier quand les parents ne sont pas passés devant le curé pour leur mariage. On pourrait ainsi penser qu’il s’agit d’enfants bâtards, d’autant plus que, parfois, le curé omet sciemment de nommer le père. Mais quand un premier enfant sans père est suivi d’un second illégitime avec père, puis d’une série d’autres avec toujours le même père, il s’agit bien à coup sûr d’une famille protestante. Il est à noter que le 7 mars 1778, c’est-à-dire dix ans avant l’édit de Tolérance, est intervenu un jugement qui, sur requête d’un certain nombre de huguenots picards, a obligé les curés à supprimer cette mention d’illégitimité dans leurs registres. Quand on rencontre mention de ce jugement en marge d’un baptême, on est sûr d’avoir à faire à un protestant. (voir également sur ce site un placard (40x60cm) du Parlement de Flandres en Décembre 1778, sur le même sujet)

Dans un certain nombre de cas, pour manifester leur rejet de ce baptême forcé, les pères n’apportent pas le nouveau-né à baptiser au curé, c’est alors la sage-femme (assermentée et donc forcément catholique) qui s’en charge et qui fait fonction de marraine. Le clerc laïc (scribe local appelé aussi clerc séculier) sert alors de parrain. La présence de ces parrain et marraine particuliers est un signe à ne pas négliger. Parfois aussi il est noté que le père est absent, c’est également un signe. Les choses se compliquent quand les curés refusaient de donner aux enfants les prénoms bibliques choisis par leurs parents. On trouve ainsi un enfant nommé Abraham par sa famille et identifié comme tel à son mariage, mais qui a été baptisé sous le nom de Pierre ! Il est alors nécessaire de trouver d’autres actes, pour arriver à comprendre que les deux individus n’en font qu’un.

Autre signe à ne pas négliger, le délai qui s’écoule entre la naissance et le baptême. Pour les enfants catholiques les deux événements sont aussi proches que possibles, très souvent dans la même journée. Les réticences protestantes se traduisent par des délais qui peuvent atteindre jusqu’à six jours, malgré une ordonnance qui imposait le baptême dans les deux jours.

Les mariages

Là encore il y a des cas simples. Quand un mariage a été célébré à Tournai, devant un pasteur de la garnison hollandaise (mise en place dans le cadre du traité de la Barrière), il est évident que le jeune couple est protestant et protestant convaincu. En effet, le trajet comporte franchissement de la frontière du royaume et se fait au risque des galères pour les hommes et de la prison à vie pour les femmes. Mais tous les protestants n’avaient pas une vocation de martyrs. Ainsi, nombreux sont ceux qui, pour ne pas être inquiétés par les autorités, se sont unis devant le curé. Mais quand Nathanaël épouse Judith devant le curé, on peut parier que ce couple n’ira pas souvent à la messe.

La mention de la naissance d’un enfant né d’illégitime mariage, né dans mais non de légitime mariage confirme qu’il y a eu mariage, encore une fois hors de l’Eglise officielle, mais la trace écrite dudit mariage protestant est la plus part du temps impossible à trouver. Les pasteurs itinérants qui célébraient ces mariages risquaient le bûcher, ils ne portaient pas sur eux des registres compromettants. On trouve parfois dans un registre catholique la mention par lesquelles le curé évoque le mariage à Tournai de deux de ses ouailles. Ces mentions sont d’autant plus précieuses que les registres de Tournai ont disparu pour la période comprise entre 1713 et 1749.

Pour pallier l’absence d’acte officiel de mariage, les protestants avaient beaucoup recours aux contrats de mariage et aux testaments. Ces documents notariés avaient un coût, mais assuraient une transmission du patrimoine auxquelles de simples bâtardises n’auraient sans doute pas donné droit. On retrouve sur ces actes notariés comme sur les actes paroissiaux bon nombre de signatures de femmes ou de jeunes filles protestantes. A une époque où il n’y avait pas d’écoles, les protestants apprenaient à lire à la maison pour pouvoir lire leur Bible. Le fait que les filles sachent signer est un signe à ajouter aux autres.

Le désir d’échapper aux mariages " mixtes " explique le fort taux de mariages contractés entre un nombre restreint de familles (endogamie). L'implexe (nombre d'ancêtres dont on descend plusieurs fois) est donc élevé pour beaucoup, sans toutefois dépasser 15%. La volonté de ne pas unir de trop proches cousins explique en partie le souci de tenir à jour une généalogie précise depuis des temps fort anciens.

Il est à noter qu’encore aujourd’hui la signification théologique du mariage protestant n’est pas la même que celle du mariage catholique et, malgré l’œcuménisme, il n’y a pas reconnaissance par Rome de la « validité » du mariage protestant.

Les décès

Il n’est pas rare que l’on ne trouve pas trace du décès des adultes protestants. Ceci s’explique de plusieurs manières. Il y a des familles qui ont émigré et les décès ont eu lieu à l’étranger. Il y a les décès pour lesquels le curé a refusé d’inhumer, il n’y a donc pas eu d’acte dans les registres paroissiaux catholiques. Il arrive parfois que le curé note que l’intéressé a été enterré dans son jardin ou dans son champ, mais il arrive aussi qu’il n’évoque pas l’événement. La trace de celui-ci est alors à rechercher dans les archives de justice. Il y a aux Archives de l’Aisne un registre tenu par la justice de Saint-Quentin pour enregistrer les inhumations des protestants hors des cimetières, avec tout le formalisme et les frais entraînés par l’application de l’article 13 de la déclaration du roi du 9 avril 1736.

Pour le décès des très jeunes enfants catholiques, on constate que le plus souvent les témoins sont le père de l’enfant et son parrain. Quand le père est absent et que les témoins sont le clerc séculier et un personnage quelconque, il y a de fortes présomptions qu’il s’agisse d’un refus de rites catholiques. Car le curé ne peut pas refuser d’enterrer les enfants puisqu’ils sont réputés être catholiques par leur baptême ! On remarque aussi à cette époque, pour des enfants plus grands, que les témoins à l’inhumation sont le père et la mère. Il s’agit en général de familles protestantes. Les femmes protestantes semblent avoir été émancipées et reconnues aptes à témoigner plus tôt que leurs consœurs catholiques.

Il y a les mentions de décès dans lesquelles le curé affirme avoir fait tout son possible au cours de la maladie de l’intéressé pour le ramener dans le giron de la sainte Église apostolique et romaine, mais sans succès. On trouve aussi parfois la mention RSE (Refusant les Sacrements de l'Église). On trouve un certain nombre d’actes où le curé note que l’intéressé est mort sans qu’il ait été prévenu… Tous ces éléments, tous ces signes sont à peser en fonction du contexte.

Il y a enfin des actes d’inhumation douteux dans lesquels il est noté que les sacrements ont été administrés à des individus manifestement protestants. S’agit-il de complaisance du curé qui connaît bien ses paroissiens et ne veut pas de vagues dans sa paroisse (et pas d’ennuis avec son évêque) ou bien s’agit-il d’un compromis accepté par la famille pour que le défunt ait une sépulture comme tout le monde ? Difficile de répondre, toujours est-il que l’acte d’inhumation n’est pas suffisant pour affirmer la religion du défunt.

Les abjurations

Il y a encore les abjurations, peu nombreuses, qui attestent du protestantisme des individus jusqu’à une certaine date. L’abjuration peut être obtenue par divers moyens de pression, dont financiers, par des tracasseries infinies. Elle peut être aussi motivée par la volonté d’entrer dans une famille catholique, voire par le désir d’exercer certaines charges, comme celles de notaire, de chirurgien ou d’huissier.

L’abjuration obtenue sous la contrainte, est parfois suivie d’émigration, souvent de relaps, malgré les peines infamantes liées à ce dernier fait.

Les professions

Il y a enfin les professions. Le métier de colporteur, de marchand ambulant est à regarder avec une attention particulière. Il s’agit là de métiers qui ont beaucoup servi à faire circuler des livres interdits (dont la Bible). Plus récemment, à partir de la Révolution, les actes indiquent la profession des individus et quand on trouve un pasteur il est clair que l’on est en présence d’un protestant, dont les enfants seront également protestants.


Il est difficile avec trois cents ans de recul de peser la profondeur de la foi des uns et des autres. A force de fréquenter les actes, on se fait néanmoins une idée sur ceux qui étaient des militants et qui ont perdu leur vie sur des bûchers ; ceux qui ont pris des risques pour eux, leur famille et leurs biens et qui ont tout quitté pour tenter l’aventure de la liberté de conscience dans l’émigration ; ceux qui sont restés, qui ont courbé l’échine sous la tempête, mais qui ont gardé et transmis leur foi à leurs descendants ; ceux qui pour quelques avantages matériels ont tourné le dos à leur famille, à la foi de leurs pères…. Ils font tous partie de cette petite histoire de la Picardie.

Jean-Paul Roëlly


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