|
Son ami André Gill nous en fait, dans son livre, le portrait suivant : "... Et sautant à bas du lit, je précipitai ma toilette, interrogeant, par secousses, mon camarade occupé à fumer des cigarettes et à taquiner un poids de quarante qui me suit depuis l'adolescence... Un peu rude, mon camarade : moitié ouvrier, moitié artiste, hardiment bâti, têtu, Breton d'origine (?), faubourien d'habitudes, nous l'appelions Agricol à cause de sa ressemblance avec un personnage de roman d'Eugène Sue. Autre part, peut-être, je dirai son véritable nom. L'exercice violent lui est indispensable; et jamais la gravure en taille-douce à laquelle il était destiné, qu'il exerça par intervalles, non sans talent, n'a pu apaiser le tourment de ses muscles. Avec cela, une sorte de curiosité invincible des métiers populaires. Je l'ai connu, tour à tour, peintre, cordonnier, forgeron, déménageur. Comme déménageur, il aimait monter un piano, sur ses épaules, au cinquième étage, et, là, le placer, l'ouvrir et en jouer, au grand ébahissement du ou de la locataire. Un "drôle de corps", comme vous voyez. Il est, lui-même le dit, rustique, et, j'ajoute, mal commode à malmener. Fier d'ailleurs, enclin à l'héroïsme et aux grands mouvements du cœeur. Voici un fait : Engagé des premiers, au moment de la guerre, dans les francs-tireurs de Mocquart, il partit battre la plaine avec sa compagnie, puis tomba malade : il avait rencontré la petite vérole noire qui courut le guilledou en ce temps. Sa face énergique était belle, de ligne régulière et pure; elle est, depuis lors, couturée, labourée. Tant bien que mal, s'accrochant aux arbres, rampant le long des buissons, se reposant au bord des fossés, il revint seul, se traîna jusque dans Paris, frappa à la porte d'une ambulance, y fut recueilli. Là, dans le crépuscule des salles d'agonie et le frisson somnolent de la fièvre, un fragment de journal tomba entre ses mains; il y put lire qu'on promettait des pensions aux veuves de soldats victimes du siège. Il avait une maîtresse, une pauvre fille débile, rachitique, à ce point que, nommant l'homme Agricol, nous appelions sa femme la Mayeux, une chétive créature qui s'était abandonnée éperdument à ce grand garçon. Il la fit venir, l'épousa, comptant mourir et lui laisser du pain... Pour "peuple" que soit mon homme, on voit qu'il s'en peut rencontrer de plus vulgaires." ... A la préfecture de Police, le service des Garnis (ancêtre de nos RG) nous en fait un portrait un peu différent...
Enfin, dans un courrier pathétique adressé à son successeur à la tête de la Sûreté, Philippe Auguste, fait état des ses problèmes de santé, et de ses difficultés matérielles : Mon cher monsieur Macé, Je m'adresse à vous dans l'ennui - pensant que peut-être vous seul me ferez rendre un peu justice - vous savez que j'étais assez bon graveur, ma vue s'est affaiblie, je ne peux plus travailler; à la Préfecture on ne me connaît plus; vous seul savez quelle a été ma conduite pendant les difficiles deux mois de Commune, avec quelle bonté j'ai traité les employés, donnant de l'aide à des femmes dont les maris étaient à Versailles, toutes ces choses sont oubliées. J'ai obtenu une médaille de marchand des quatre saisons, mais avec peine; or, je suis atteint d'une maladie de cour qui m'empêche de marcher. Je sollicite vainement un stationnement place Moncey, ce qui me permettrait de gagner du pain, on ne me l'accorde pas. Ou bien qu'on change ma permission pour l'ancien Paris avec un stationnement rue Montorgueil ou rue Montmartre ou faubourg Saint-Denis : je ne peux plus marcher. Depuis la guerre j'ai élevé 10 orphelins, pensez-vous que ce soit un certificat d'honnêteté ? Doit-on confondre avec les gredins qui ont incendié Paris, un homme qui a sauvé la vie à des quantités d'otages, qui a déposé 13 millions au ministère des finances, qui a fait la chasse aux pillards avec une énergie qu'on a du vous dire. Eh bien, des souteneurs de barrières, des gens pleins de forces qui n'ont aucun titre, obtiennent ces faveurs et à moi on les refuse. Une démarche de votre part me la ferait obtenir, car vous avez laissé dans la presse des souvenirs impérissables. Ai-je eu tort de m'adresser à vous ? je ne le crois pas. Je serais bien allé vous voir, mais m'auriez-vous reçu et puis je suis dans la misère, un voyage est lourd pour moi. Voyez, mon cher monsieur, si vous pouvez me rendre ce service et croyez-moi votre tout dévoué. 166, rue Marcadet (ex-remplaçant de M. Claude pendant la Commune) Excuser mon écriture, je n'y vois presque plus. |
|