Une contribution de Monsieur Henri Montigny

"notre Histoire à travers celle de Clary en Cambrésis"

publiée par les Amis du Cambrésis en 1988, ici diffusée avec l'aimable autorisation de l'auteur

LES HÉRÉTIQUES D’IRIS, 1623 ET 1627

En 1623, le prévôt de Clary, Martin Massel , censier d’Iris et paroissien de Clary, est accusé de crime d’hérésie. Il est arrêté par ordre des autorités religieuses et emprisonné "au Palais Archiépiscopal de Cambray"

Il sera jugé en compagnie de son beau père Adrien Le Clercq, autrefois prêvot de Clary, âgé de 80 ans, paroissien de Clary et bailli des terres de Prémont, Serain, Elincourt, Troisville, Audencourt,Bertry et autres villages (terres confisquées à Henri IV, Prince de Béarn, par Philippe II, Roi d’Espagne, en 1595).

C’est sans doute l’un d’eux qui a gravé , dans la prison de l’officialité au Château de Selles à Cambrai, une inscription que nous avions été surpris de découvrir en 1980, en photographiant des graffiti…


L’ACCUSATION D’HÉRÉSIE

L’acte d’accusation du promoteur d’office de Cambrai rappelle, en préambule que "Chacun est tenu de croire "de cœur" et de confesser "de bouche" ce que notre Mère la Sainte Eglise a ordonné et institué ; et tous ceux qui font et soutiennent le contraire sont en état de damnation et doivent être tenus et réputés pour hérétiques et schismatiques".

Pour l’Eglise, Martin Massel et Adrien Le Clercq ont été "très téméraires" (sic) de croire au Seigneur et, en même temps , de soutenir des propositions fausses, erronées et scandaleuses.

Quelles sont donc ces déviances des paroissiens de Clary ?

Tous deux sont accusés de nier la présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie. Ils acceptent d’y voir son esprit, sa divinité , mais ni son corps ni son sang, puisque le credo que Martin Massel récite en français, atteste que le Christ est assis à la droite du Père et qu’il viendra juger les vivants et les morts.

Pour confirmer leurs dires, ils font aussi appel à la première Épitre aux Corinthiens, dans laquelle Saint Paul dit "toutes les fois que mangerez ce pain et boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne".

Cette attitude critique envers le dogme catholique a provoqué la rupture des fiançailles de la fille de Martin Massel avec Eloy Michau de Villers-Outréaux .Les familles se sont rencontrées à Villers-Outréaux le lundi de la Pentecôte 1623 pour "traiter" du mariage projeté .Là, devant témoins, Martin Massel et son beau-père ont témoigné de leur certitude concernant la présence non réelle dans l’Eucharistie ; Ce qui a attiré la riposte de Claude Michau , frère du fiancé : "ce sont là propos de huguenots !" (de protestants) . Le curé de Villers, présent, a reproché à Martin Massel "de semer la zizanie en son peuple" et l’intéressé – qui est peut-être un peu gris , car on a bien vécu au cours du banquet et on a même "fait jouer quelques psaumes de Marot" - répond qu’il aime bien boire du vin. Comprenant que le père de la fiancée fait allusion à la non-consommation des fidèles avec le calice, Maître Jean Pouillon le presse de dire autre chose "que ces mots légers". Martin Massel répond en interrogeant : "Pourquoi ne nous donne–t-on point le vin au calice, aussi bien qu’à vous ?"

C’est là, semble t-il, à l’examen des pièces du dossier d’accusation, l’essentiel de la déviance des deux habitants d’Iris.

Déviance qu’il faut mettre au conditionnel, puisque finalement les deux accusés ne seront pas déclarés "hérétiques formels" (ce qui les aurait conduit au bûcher).

En notre XXe siècle, de telles positions de catholiques ne leur vaudraient que d’être arrêtés et traduits devant une justice ecclésiastique. Mais cela était ainsi à une époque où l’Eglise souffrait du malaise religieux de la Réforme.


LE MALAISE RELIGIEUX ET LA REFORME

Pour comprendre ce procès, il faut le situer dans son contexte historique et territorial.

Une trentaine d’années auparavant , le Cambrésis était repassé sous la dépendance de sa Majesté catholique le Roi d’Espagne. Clary avait vu arriver les troupes espagnoles du Comte de Fuentes à l’automne 1595 ; elles s’étaient emparées du château et l’avaient démantelé ensuite.

Depuis 1598 les Pays-Bas espagnols – dont fait alors partie le Cambrésis – ont pour souverains les archiducs d’Autriche Albert et Isabelle , derrière lesquels l’Espagne dirige les affaires militaires et diplomatiques du pays.

Si, de 1598 à 1635, le Nord de la France jouit d’un long temps de paix parce que les combats guerriers ont cessé, les querelles religieuses sont très vives.

La Réforme protestante, lancée en 1517 par Martin Luther, radicalisée ensuite par Calvin (dont la mère est Cambrésienne) a vite fait des adeptes dans notre région. La chrétienté était depuis longtemps, il est vrai, hantée par l’idée d’une réforme indispensable, tant les abus étaient criants, notamment au niveau du clergé .

Valenciennes est depuis le milieu du XVIe siècle l’un des grands foyers du calvinisme. Un enquêteur catholique y signale en 1554 "des assemblées de gens pour entendre propos et devises qui sont bien estranges". Les calvinistes valenciennois sont si nombreux qu’ils se montrent au grand jour , n’hésitant pas à parcourir les rues en chantant des psaumes "en langue franchoise" (et non plus en latin !). En 1566, un consistoire élu chasse de la ville religieux et religieuses.

Le mouvement protestant gagne du terrain, malgré la répression espagnole. Il est facile d’ailleurs, d’aller à quelques pas du Cambrésis, en Picardie (c’est à dire en France) "célébrer la cène et y faire la presche" comme ces "huguenots de France, de hainaut, de Cambrésis et de tous côtés le firent à Prémont le 3 Juin 1566". C’est de là, comme de Bohain, de Saint-Quentin et de Laon, que devaient venir les prédicants qui soulevèrent Le Cateau la même année contre l’Archevêque.

La répression, dirigée par le Duc d’Albe , est sanglante. Celui-ci, nommé gouverneur et Capitaine Général, instaure l’impitoyable "Conseil des troubles", pour réduire les oppositions par le feu et par le sang. On massacre des bandes de calvinistes, on exécute, on bannit. La ville de Valenciennes ,déclarée rebelle, est assiégée et capitule en 1567. Le Cateau capitule également.

Mais les troubles se perpétuent, car les réformés, entraînés par la vague d’iconoclasme partie des Flandres, s ‘en prennent aux "ymaiges" des églises (c’est à dire les effigies des saints). Ils abattent des statues, saccagent des églises et des chapelles. Un calvaire des environs de Crèvecoeur est outragé et, en 1572, "quelques uns de leurs bandes, placées dans les bois de Walincourt répandaient une si grande terreur dans la contrée" affirme l’Abbé Boniface, "que le titre de Luther y resta jusqu’à nos jours (1863) synonyme de brigand". Ce serait aussi à eux, dit le même auteur, qu’on fait remonter les traces de batailles découvertes à Selvigny, ainsi qu’au nord de l’Ermitage des Guillemins.


LA CONTRE-RÉFORME

Les Archiducs Albert et Isabelle, princes très pieux, ont favorisé de tout leur pouvoir un renouveau religieux catholique. Les Archevêques de Cambrai se sont également employés à faire prévaloir un catholicisme triomphant , calqué sur l’absolutisme espagnol.

L’Eglise diocésaine à fort à faire pour redresser la barre ! La population n’est pas encore réellement christianisée et, aux côtés de l’hérésie et de l’iconoclasie, la sorcellerie est apparue dans le Cambrésis.

Dès 1516, le Chapître s’est vu obligé "pour éviter le scandale, d’interdire à l’Archidiacre majeur de recevoir chez lui une certaine Antoinette, très mal famée et possédée du démon".

Une législation édictée par Charles Quint en 1532 prévoyait la poursuite de tout "jeteur de sorts" qui aurait abouti à des blessures ou des dommages. Mais la guerre, la crise économique, les prédications contre l’Eglise, contribuent à accroître le nombre de sorcières et de sorciers, nombreux dans les campagnes.

En 1570, l’ordonnance criminelle de Philippe II enjoint aux magistrats de veiller à une stricte exécution des poursuites contre les "sorciers" et les "devins", qu’il faut désormais frapper de peines sévères.

En 1592, une lettre du Gouverneur Général, ordonne d’enquêter sur "ceux qui sont dévoués et dédiés du tout au diable, en renonchant à Jésus-Christ, c’est à dire les devins, enchanteurs, sorciers, vaudois (secte hérétique, en principe anéantie sous François Ier) et de noter de semblables maléfices et crimes, afin de procéder rigoureusement contre eux par toutes les peines et châtiments sévères et exemplaires".

La sorcellerie en Cambrésis, comme l’a montré Robert Muchembled, (et ailleurs aussi sans doute) est une des manifestations de l’angoisse, de l’ignorance et de la peur. Pour la combattre, il fallait évidemment lui substituer une nouvelle culture religieuse.


L’ŒUVRE DES JÉSUITES

Ce sera essentiellement l’œuvre des jésuites, qui ont fondé un collège à Cambrai dès 1614, aidés par les récollets, les capucins et autres religieux.

Ils vont prendre en main une nouvelle évangélisation des campagnes et, en une époque où le paganisme et la superstition sont encore fortement mêlés à la religion, ils vont d’abord exiger du " bon chrétien " des signes extérieurs de sa foi : faire ostensiblement le signe de croix, adorer le Saint Sacrement à l’élévation, aller à la messe (surtout aux fêtes), faire " ses Pâques ", participer aux processions, aux pèlerinages, aux indulgences, aux jubilés, respecter les interdictions du Carême et le repos des dimanches et jours de fêtes.

Ceux qui ne vont pas à la messe ("les déffaillians dy aller") y sont contraints par des amendes et "jusques an bang publié comme ordinairement lon faict tous les ans tant en mars que en aoust".

Le clergé n’emploie que le latin pour les offices, et il en use également en maintes circonstances de la vie quotidienne, ce qui veut paraître comme un ascendant sur les fidèles.

Sous l’impulsion des Jésuites , un gros effort de catéchèse est fait. En 1618, trente paroisses du Cambrésis sont représentées à Cambrai pour une compétition interparoissiale sur la connaissance du catéchisme qui se déroule devant 3000 spectateurs.

Il est évident que les prétendus hérétiques de Clary n’ont pas participé à cette compétition, malgré leur connaissance de l’Ecriture. Ils ne sont pas de ceux qui se laissent enfermer dans une définition restrictive du bon chrétien.


LA RÉFORME DU CLERGÉ SÉCULIER

Avant de reprendre le récit des tribulations de nos Clarysiens – et les considérations qui précèdent ne sont là que pour éclairer leur situation – ajoutons que la réforme du clergé séculier , qui est une préoccupation majeure des autorités religieuses, s’avère bien nécessaire.

Si les bulles papales de 1561 ont fait obligation aux évêques d’être au moins gradués en théologie et en droit, et de tenir un synode annuel pour promouvoir la réforme du clergé, si le diocèse de Cambrai a été administré par de meilleurs prélats que l’indigne Jean de Bourgogne, on peut mesurer le retard de la contre-réforme en constatant que l’Archevêque François Van Der Burch signale en 1625 au Pape qu’il a dû "écarter" de son clergé une centaine de prêtres, pour insuffisance doctrinale ou pour mauvaise conduite !.


LES ACCUSÉS

Comment s’étonner que nos deux accusés, hommes cultivés, s’interrogent, interrogent leur curé, et osent se démarquer des autres paroissiens ? Leur attitude paraît être essentiellement une attitude de recherche.

L’examen des pièces du procès montre à l’évidence qu’ils n’ont pas le désir d’être de mauvais chrétiens et aussi qu’ils n’ont pas conscience de s’éloigner à ce point de la religion "officielle".

Martin Massel et Adrien Le Clercq sont des gens qui lisent, à une époque où peu de gens en possèdent le savoir. Ils connaissent le nom de Clément Marot, ce poète français du siècle précèdent soupçonné de sympathie pour la réforme. Ils lisent les écritures et ils les lisent en français ; comment se procurent-ils leurs livres ?

Cette attitude est très dangereuse, tant pour le clergé que pour la classe dominante des seigneurs, car l’accès à la culture, la possibilité de comprendre, conduisent nécessairement à la contestation.

De plus , ce sont des hommes qui se déplacent dans le Cambrésis : au château de Ligny où Massel ne cache pas au seigneur du lieu, de Villers au Tertre, et au cousin de celui-ci d’Esclaibes, ses croyances religieuses ; à Valenciennes où il a entendu prêcher M° Durin ; en France aussi : à le Haucourt, à le Catelet, à Roisel ; et même loin de Clary : un frère de Martin Massel est en Hollande à l’époque du procès. Ces voyages permettent d’apprendre bien des choses, entre autres que le Roi de France veut donner à ses sujets "la liberté de conscience".

Et ils ont la candeur de dire leurs découvertes. En effet, font-ils observer dans leur défense, si leurs intentions n’avaient pas été pures et simples, c’est en cachette qu’ils auraient tenu les propos reprochés.


LE PROCES,

L’accusation du promoteur de Cambrai est énoncée en une vingtaine d’articles , parmi lesquels sont les considérations suivantes :

  • le jour de la Sainte Trinité qui suivit les fiançailles manquées de Villers-Outréaux, "on" reproche à Martin Massel et Adrien Le Clercq "en la maison dudit Martin à Iry" les propos tenus précédemment . Martin Massel répondit qu’il maintenait et maintiendrait ce qu’il avait dit, même devant "monseigneur de Cambray".
  • il ajouta qu’il avait ouï prêcher publiquement sur le marché de Valenciennes que Jésus-Christ n’était pas réellement en corps et en âme au Saint-Sacrement.
  • et que l’on ne recevait pas Jésus-Christ en la communion si on ne recevait aussi le calice, alléguant l’Ecriture pour justifier son avis.
  • ces propos et cette doctrine ont mis plusieurs "en scrupule" , entre autres Jean de Tournay, lieutenant de Villers-Outréaux, qui était prêt à "faire banqueroute a la religion Catholique Apostolique et Romaine et aller a la presche des hughenostz au village de Haulcourt".

A Martin Massel, il est particulièrement reproché :

  • de faire "ouvrer" (travailler) ses valets et ses chevaux les jours de fête , au mois d’août,
  • de faire "ouvrer" fêtes de dimanches à la réparation des chemins et du fort de Clary (le château démantelé en 1595)...
  • particulièrement durant la grande procession du lundi de la Pentecôte et le dimanche suivant, contre l’avis de Guillaume de Melun, Seigneur de Clary, lequel, pour obvier à de tels abus et trouver moyen de payer les ouvriers et les matériaux (les "ouvrages"), permet que soit levé un impôt spécial sur la bière de Clary vendue au village de Clary ("coeuiller ung patard de malletote sur la tonne de bierre vendue au village de Clary"),
  • sa femme, ses enfants et lui-même ne vont pas à la messe lors des fêtes,
  • depuis la fête de l’Assomption 1622 jusqu’à pareil jour de 1623, il n’a été que 2 ou 3 fois à la messe et n’est pas honteux d’être dans le cimetière à la sortie de la messe,
  • il a même défendu "à plusieurs" d’y aller,
  • à la Pentecôte de 1621, il s’est moqué de ceux qui avaient fait leur devoir pour gagner le jubilé, disant en riant : vous voilà bons catholiques !
  • on ne le voit jamais faire le signe de croix,
  • naguère, se trouvant à la forge de Clary, il a déclaré : que notre curé prêche autant qu’il veut, il n’y a point de purgatoire.

Dans un deuxième temps on demande à Adrien Le Clercq, âgé de 80 ans , de se justifier des accusations suivantes :

  • d’avoir en fort grande haine Maître Jean Froissart, son pasteur de Clary,
  • et d’avoir entrepris de le faire tuer par deux ou trois personnes de Villers-Outréaux,
  • d’avoir enfin abusé d’une femme mariée de Clary.

Les archives conservées (Archives Départementales du Nord, 5. G.556) ne fournissent pas le nom des dénonciateurs, ni les circonstances de l’arrestation des prévenus.


INTERROGATOIRE DES ACCUSÉS

Ceux-ci sont interrogés le 5 Septembre 1623, séparément, par le promoteur qui reprend un à un les articles de son acte d’accusation.

Adrien Le Clercq admet avoir dit que la communion du corps de Notre Seigneur est une sainte mémoire et action de la mort et passion de Jésus-Christ, qui l’institua avec ses apôtres "disant comme il est récité en Saint Luc IIe chapitre …" ( le promoteur a négligé de reproduire la citation entière, seulement la fin:) "dict il devoir de faire cest Pasques avecques vous".

L’accusé a récité son crédo en présence des Pères Jésuites. Il conteste avoir dit ne pas croire en la réalité du corps et du sang du Christ en l’hostie. A Villers-Outréaux, chez Bonne Pépin, il a bien parlé de la communion, mais n’a pas contesté la présence réelle dans l’Eucharistie. A Iris il a bien dit qu’il maintiendrait ce qu’il a déclaré ci-dessus . En ce qui concerne le prêche public de Valenciennes, il a entendu dire que depuis 5 ou 6 ans, un prédicateur "avait usé de telz propos et que pour ceste cause on lavait enchassé" (emprisonné)

Il n’a pas fait jouer les psaumes de Marot ; il a dit aux joueurs : jouez le psaume De Profundis , "ce qu’ils non faict ne sachant ce que cest des psalmes de Marote". Il va parfois au Chastelet pour acheter ce qu’il a besoin pour son ménage, mais n’y fréquente aucun homme de la religion (religion réformée ; il s’agit de Le Catelet en France ). Il ne suit plus la procession comme il faisait quand il était prévôt (il a 80 ans) si ce n’est aux jours solennels. Il a son siège près de l’autel, il regarde le Saint Sacrement "comme les autres" ; il fait le signe de croix, mais "ne faict pas bigotrie devant tout le monde"

Le beau-fils comparait ensuite.

Il reconnaît avoir dit au pasteur de Villers-Outréaux, aux fiançailles de sa fille , qu’à l’article de la mort, si on lui présentait le pain ou le vin (un seul des deux), "en foy et charité en mémoire de Dieu, il le prendrait". avoir Il reconnaît dit qu’un Jean Du Quesne demeurant à Clary lui avait raconté qu’il avait entendu Maître Durin, prédicateur à Valenciennes, prêcher en public qu’il n’y a au sacrement que la divinité du Seigneur et non son corps.

Oui, il a dit au curé de Villers-Outréaux qu’il aimait bien "à boire vin pour ce quil est en lescriture : buvez" Oui, il a dit que Dieu n’avait pas commandé les fêtes, mais il ne pensait offenser personne ? il n’a pas fait travailler les dimanches et les fêtes, mais il est bien vrai que les échevins l’ont fait et le seigneur a bien institué un patard de matelotte.

S’il a manqué quelques prêches, "ce a esté pour garder sa maison qui est environnée des bois". Il va souvent à la messe à Elincourt parfois à Caullery. Il n’a jamais défendu à personne d’y aller . Quand il y a un jubilé, il fait son devoir comme les autres. Oui, il a dit "vous voyl bons Catholicques" en riant. Il nie toutes les autres accusations et assure "quil ne croit aultre chose que leglise catholicque apostolique et Romaine croit".

Début septembre, et sans doute à la suite de leur interrogatoire, Adrien Le Clercq et Martin Massel rédigent une étiquette de défense.

Les prisonniers déclarent qu’ils sont de bonne renommée et bons catholiques ; qu’ils vont toujours à la messe les dimanches et fêtes, soit à Clary soit à Elincourt ; Qu’ils font leurs devoirs les jours de Pâques et en d’autres jours solennels ; qu’ils ont décidé la réparation de l’église et du clocher de Clary ; qu’Adrien Le Clercq a porté les armes contre les hérétiques ; qu’ils portent honneur et révérence aux gens d’église, recevant les Pères Jésuites, Récollets et Capucins en leurs maisons ; qu’ils envoient leurs ouvriers à la messe et les enseignent à bien vivre et à garder les commandements de l’Eglise ; qu’ils n’ont jamais invité ou sollicité personne pour suivre une autre loi que la foi Catholique , Apostolique et Romaine ; qu’ils gardent les ordonnances de l’Eglise, le Saint Carême et les autres jours auxquels il est défendu de manger de la viande.


TEMOINS PRODUITS PAR L’ACCUSATION

Le promoteur juge cette défense insuffisante. Il ordonne, la poursuite du procès et entend alors les témoins.

Il a déjà reçu les dépositions des témoins à charge : Jean Cacheux, clerc de la paroisse de Selvigny et auparavant de celle de Clary ; Antoine Soyer, Pierre de Tournay et Léonard Michau, de Villers-Outréaux ; Jean de Tournay, lieutenant de Villers-Outréaux ; Monseigneur Maître Jean Pouillon, prêtre et pasteur de Villers-Outréaux ; Maître Nicolas Nalem, prêtre et pasteur de Montigny, Caullery, Cuvillers et curé de Clary ; Jean Carré, maréchal-ferrant de Clary ; Marie Lamouré épouse de Gilles Taisne,de Clary ; Isaac Vitas, mulquinier de Clary ; Jean Bizeau, dîmeur de Clary ; et enfin Marguerite Le Leu, épouse d’Antoine Bourguignon,demeurant à Clary .

Ces témoins à charge ne confirment l’accusation d’hérésie qu’en ce qui concerne l’Eucharistie et la Communion . Certains, comme Jean Carré et Jean Bizeau, disent ne rien savoir ou ne pas se souvenir. Pour ce qui est des autres accusations ( ne non-respect des signes extérieurs de vie chrétienne), elles ne sont que timidement confirmées, et chacune d’elles par un seul témoignage.

Par exemple, l’accusation de faire travailler les dimanches et fêtes est confirmée par l’ancien clerc, mais il s’agit de travail exceptionnel en 1622 et 1623 durant la moisson et la couvraine. Jean Cacheux a vu plusieurs fois (combien de fois ?) "aulcun de la commune" travailler fêtes et dimanches "tant au clocher, chemins qu’au fort dudit lieu". En quatre années qu’il a servi de clerc à Clary , il n’a pas vu souvent Massel, sa femme et ses enfants y venir à la messe. Il a vu plusieurs fois Massel dans le cimetière, ou bien aux environs. Une fois, Maître Jean Froissart , curé de Clary , lui a reproché son attitude ( c’était vers la Saint Jean 1622). Il a connaissance que la femme de Massel n’aurait confessé et communié, pour gagner le jubilé du Pape Grégoire, que par crainte d’être en disgrâce du pasteur.

Une seconde déposition de l’ancien clerc, datée du même jour (est-ce une transcription partielle ou une "mise en forme" du rédacteur ?), apporte des éclaircissements sur le "jeu des psaumes" et le nom de Marot n’est pas cité : au banquet de noces d’Anne de Herbecourt, nièce d’Adrien Le Clercq, celui-ci demande aux musiciens de jouer quelque chose pour récréer la compagnie, et "sur ce , comenchèrent à jouer des psaulmes selon que chacun disoit". Jean Cacheux, présent, dit que c’est mal de faire jouer des psaumes et Adrien Le Clercq, se moquant du clerc, dit aux joueurs "Qu’on lui joue un Veni Creator ou un Salve pour qu’il ne se tourmente pas !". Il s’agissait donc d’imiter la psalmodie religieuse, en chantant des paroles proposées par l’assistance. Ce jeu avait sans doute été en vogue à la cour de François 1er qu’avait beaucoup fréquenté Marot, d’où l’appellation "psaumes de Marot" ?

On perçoit près bien que la justice ecclésiastique s’efforce de faire entrer les témoignages dans le cadre préétabli de définitions juridiques qui renvoient à des peines prévues ("enquis et interrogé sur le contenu au XIe article des impositions dudit promoteur…"). Le promoteur suggère également , en fin de déposition, un jugement d’ensemble sur l’un ou l’autre des accusés, et il obtient ainsi des déclarations du genre : "il a de mauvaises opinions… Le Clercq et Massel tiennent sans cesse opinion contraire à notre foi… lorsqu’il est avec les gens, il parle souvent de l’Ecriture et leur remoustre"…

Les témoins de l’accusation sont âgés de 25 à 40 ans . Trois ne savent pas écrire. Des sept témoins de Villers-Outréaux, trois sont des frères d’Eloy Michau dont le repas de fiançailles avec la fille Massel s’est mal terminé ; Il est fort probable qu’il y a dans leur présence concertée une occasion de venger l’honneur familial ? L’accusation de viol est peu crédible puisque pas reprise ; l’accusation d’intention d’homicide contre le curé Jean Froissart est également tout à fait sujette à caution .


TEMOINS FAVORABLES AUX ACCUSES

Douze personnes viennent témoigner en faveur des accusés les 12 et 13 septembre. Parviennent également à l’Official le 11 septembre le soutien du mayeur et des échevins de Serain, en faveur de Le Clercq leur ancien bailli ; et le soutien des lieutenant et gens de justice d’Elincourt, pour les deux accusés.

Ces deux attestations énoncent, maladroitement, qu’elles ont été rédigées à la demande des accusés, ce qui leur enlève du poids, même si les notables d’Elincourt attestent qu’Adrien Le Clercq leur ancien bailli, est venu à cheval à Elincourt pour imposer des amendes aux paroissiens qui hantaient les cabarets durant la messe.

Viennent témoigner en faveur des accusés :

Gaspard Marteau, prêtre et pasteur d’Elincourt ; Daniel Gransart, Nicolas Mascré et Liévin Desforges, trois laboureurs de Clary ; Jean Taisne et Pierre Le Maire, deux vallets de charrue de Caullery ; Paul Le Comte, mulquinier de Clary ; Adrien Norme, boucher et manouvrier de Clary ; Pierre Mariaige, également manouvrier de Clary ; Maximilien Vasselard, fabricant de tuiles, laïc paroissien de Clary (d’autres documents de l’époque indiquent que ce témoin est protestant) ; Baltazar Deffossetz, prêtre et pasteur d’Inchy en Cambrésis et auparavant à Serain ; enfin, Jean Le Maire, bûcheron et manouvrier à Clary.

Ces défenseurs, sauf Jean Taisne et Pierre le Maire, sont âgés de 40 à 70 ans. Six ne savent pas écrire et, socialement, sont plus faibles que les accusateurs. Tous tentent de montrer que Le Clercq et Massel sont gens de bien, bons catholiques, et qu’ils exercent correctement leur charge. Ils reconnaissent cependant la mésentente entre les accusés et la pasteur de Clary "depuis environ un an", ce qui fait que Massel va à la messe ailleurs, et le plus souvent à Elincourt.


TEMOIGNAGES DECISIFS

Interviennent alors dans le procès les témoignages décisifs des "témoins officiels" : Messire Robert d’Esclaibe, Chevalier, Seigneur de Clermont et Inchy, âgé de 48 ans ; Maître Pierre Billouart, prêtre et curé de Ligny-en-Cambrésis, 50 ans ; et Noble Sire Jean de Villers-au-Tertre, Maître, prêtre et seigneur temporel de Ligny-en-Cambrésis.

Robert d’Esclaibes ne s’est trouvé en compagnie de Martin Massel qu’une fois. Ce fut au château de Ligny, en présence de Jean de Villers-au-Tertre et du chevalier Pipart, son bailli. Massel aurait alors proféré (sic) des "propos favorisant les huguenots en ce qui concerne le fait de la guerre". Et, comme Robert d’Esclaibes "maintenait les catholiques et ceux du parti du Roi (d’Espagne)", Massel dut dire : "bien, bien, on verra lesquels seront les plus forts". Ce fait rapporté doit être ancien , car il n’y a pas d’état de guerre en Cambrésis en 1623 ; il doit remonter à 1595, et n’a aucun rapport avec le procès. ?

Robert d’Esclaibes (qui avait été présenté à Henri VI en 1594 à Cambrai et qui avait refusé de passer à son service, restant fidèle au Roi d’Espagne) développe néanmoins son opinion : Massel défendait fort ceux du parti contraire à nos Princes (les Archiducs) et d’Esclaibes juge par là "qu’il ne vaut rien". Il eût bien battu Massel s’il n’avait été en présence de dames de la compagnie, qu’avait invitées Monseigneur de Ligny !

La déposition du Chevalier de Villers-au-Tertre, prêtre et seigneur de Ligny (nous savons par ailleurs qu’il était chanoine de l’Eglise Métropolitaine de Cambrai et licencié en droit) pèsera beaucoup, comme celle de son cousin, dans la condamnation des accusés. Il confirme qu’il y a 10 ou 11 ans, étant à la table et en la maison de’Adrien Le Clercq, ancien prévôt de Clary, celui-ci a dit qu’il ne pouvait pas croire en la présence de Jésus-Christ "aussy grand et tel qu’il estoit en l’arbre de la croix" dans l’hostie.

A Ligny, il y a environ un an, le pasteur avait fait une procession hors du cimetière ; comme on avait dressé un reposoir, Le Clercq avait dit "en substance que cela estoit idolatrer" (on retrouve le vocable "idolâtrer" qu’avait utilisé les Calvinistes durant "l’année des merveilles" de 1566). Le Clercq est un disputeur et une mauvaise langue, conclut notre chanoine.

En ce qui concerne Massel, le seigneur déposant dit que celui-ci a, par le passé, -il y a très longtemps- discuté avec lui de certains points de la religion et qu’il ne sait plus lesquels. Il lui a fait des sermons pour le convaincre de ce croit l’Eglise Catholique et Romaine, touchant l’Eucharistie. Une autre fois, étant à table à Ligny, Massel tint des propos tels que le Seigneur de Clermont conseilla à son cousin : Ne conversez point avec cet homme là, il a des propos de huguenot.


DÉFENSE DES ACCUSÉS

La défense écrite, non datée, des prétendus hérétiques est ainsi préfacée :

"Pour bien démontrer que le promoteur de l’Office de la Cour Métropolitaine de Cambray a grand tort de blâmer et de tenir pour suspect d’hérésie Adrien Le Clercq, jadis prévôt de Clary, bailli des terres de Prémont, Serain, Elincourt, Troisvilles, Bertry et autres villages, pour Sa Majesté Très Chrétienne, et Martin Massel son gendre, à présent prévôt dudit Clary ; et que tout au contraire il se vérifie qu’ils sont vraiment catholiques, ayant toujours vécus comme tels, désirent et protestent de vivre et mourir en la foi catholique apostolique et romaine, selon que leurs prédécesseurs ont fait, disent et mettent en avant pour faits justificatoires ce qui s‘ensuit" :

Adrien Le Clercq est issu de bons parents catholiques. Depuis son jeune âge, il a toujours vécu en homme de bien, en vrai chrétien, respectant les fêtes et le carême, entendant la messe "en toute dévotion et le plus souvent à deux genoux devant le saint sacrement en toute humilité", recevant "son créateur par la réception de la sainte et sacrée hostie qui est le vrai corps de notre Sauveur et Rédempteur Jésus-Christ".

Adrien Le Clercq a fait réparer par deux fois l’église et la cloche de Clary, à ses frais , a porté les armes contre les hérétiques (ce doit être à Elincourt), a puni quelques rebelles huguenots. Il a reçu en sa maison les gens d’église , tant frères mineurs Capucins que Pères Jésuites, les a hébergés, et "assistés de ses moyens", leur portant honneur, comme à son pasteur.

Parvenu à l’âge de 80 ans ou environ, il a toujours été tenu pour un bon catholique. Les pasteurs des lieux où il a commandé, le pasteur de Clary (dont il ne cache pas qu’il a des querelles avec son gendre) et une "infinité de bons bourgeois de Cambray" déclarerons en conscience qu’il n’a jamais tenu opinion contraire à la "Religion Romaine".

Martin Massel proclame qu’il a toujours été instruit en la foi Catholique Apostolique et Romaine. Il va à la messe, lui, sa femme, et sa famille "le plus assez souvent" car sa maison est éloignée. Lui-même va à Elincourt "à cause des querelles qu’il a contre son pasteur et pour ne pas le troubler". Les jours solennels, il s’approche des saints sacrements, "soit en la chapelle des Pères Jésuites, Récollets que ailleurs".

Il commande à ses serviteurs (il a bon nombre de gens à sa charge, quelquefois 18 ou 20 hommes) d’aller recevoir leur Créateur et, s’ils font quelque difficulté, "il les y contraint". Il ne se trouve pas un de ses serviteurs qu’il ait voulu séduire "à suivre aultre luy que la foy Catholicque Apostolicque et Romaine en laquelle il s’est toujours maintenu, en homme de bien, sans reproche".

Il n’a jamais fréquenté les prêches (des calvinistes), bien "qu’il en soit bien près du lieu où on les faits". Au contraire, lorsque Sa Sainteté a envoyé des indulgences et jubilé, soit à Bruxelles, soit à Cambrai et ailleurs, il a fait son devoir, comme a fait son beau-père.

Martin Massel rappelle qu’il a même fait le pèlerinage de Grandmont à pieds nus, pour vénérer les reliques de Monsieur Saint Adrien.


LA CONDAMNATION

Le 17 septembre 1623, la condamnation est prononcée contre les deux accusés.

Ils sont convaincus d’avoir proféré et soutenu la proposition hérétique selon laquelle le corps du Christ ne serait pas réellement au saint sacrement de l’autel, "car est hérétique au sens propre celui qui a de mauvais jugements concernant les sacrements" (cette référence est écrite en latin).

Mais ils ne sont pas "hérétiques formels", car ils ne maintiennent pas leur erreur (non relaps). Ceci fait qu’ils ne peuvent être punis comme hérétiques "du moins quant a la paine ordinere" (c’est à dire la mort).

Le promoteur suggère que Monseigneur l’Official pourrait leur faire faire une révocation spéciale des dites assertions, en public ou en privé, les condamnant en outre à une amende pécuniaire "distribuable es lieux où ils ont causé leur scandal", leur interdisant d’user à l’avenir de tels propos (récidive qui les ferait considérer comme relaps) et leur commandant de se comporter à l’avenir en bons catholiques et "de recepvoir cessans tous empeschemens legitimes leur createur chacun premier dimanche du mois ung an durant".

Les accusés sont ,en outre, condamnés aux dépens de cette procédure.

Nous ignorons comment fut exécutée la condamnation et à quelle date furent libérés des cachots du château de Selles Adrien Le Clercq et Martin Massel, prétendus hérétiques.

Ce qui paraît évident, en étudiant ce procès d’hérésie, c’est qu’il fut surtout un procès intenté contre deux hommes cultivés, qui avaient accès au livre et pouvaient, par conséquent, raisonner les idées nouvelles de leur temps. Ce faisant, ces prévôts empiétaient sur le domaine du clergé et sur le domaine de l’autorité temporelle. Ils étaient dangereux. Il fallait les neutraliser. Ce que fit l’Official de Cambrai.


SECOND PROCES EN 1627, LES VAUDOIS

Martin Massel comparait de nouveau, en 1627, devant la cour Archiépiscopale de Cambrai. Il n’est plus prévôt de Clary mais toujours censier d’Iris.

Il est accusé, cette fois de calomnie et de liens avec un devin (un vaudois). Les documents concernant cette seconde affaire sont très incomplets et se trouvent mêlées aux pièces du procès de 1623. Nous nous référons ici aux folios 39-40-41-42 et 46 du dossier.

Notre censier d’Iris est accusé d’avoir consulté Benjamin Talon demeurant à Roisel, pays de France, qui est tenu et réputé communément pour "waudois" et devin. Accusé et poursuivi par la justice religieuse parce qu’il est "prohibé et défendu de tous droits divins et humains de consulter des devins magiciens waudois et autres semblables personnes ayant adhérence avec le diable" (énoncé des accusations du promoteur d’office en novembre 1627).

Martin Massel aurait fait venir Benjamin Talon à Iris pour visiter ses étables et pour savoir qui pouvait être l’auteur (sic) des morts et pertes de ses chevaux.

Le devin aurait désigné Jean de Bonneville qui, de ce fait, est devenu suspect et accusé faussement de crime de sortilège.. Cette conduite (supposée, Massel donne une autre version des faits) permet au promoteur d’office d’affirmer que Martin Massel "adhère par ce moyen au diable" !!!, prenant pour véritable ce que la diable, "père du mensonge", suggère audit Talon.

Le 7 décembre 1627, le promoteur rappelle une déposition faite le 20 juillet 1626 par Sébastien de Lattre qui serait allé chercher Benjamin Talon à la demande de l’accusé.

Ces deux dates montrent que la procédure a été longue. Nous ne savons pas si Martin Massel a été de nouveau incarcéré, mais il est libre lorsqu’il comparait le 24 novembre 1627, pour répondre aux chefs d’accusation du procureur d’office Hénin.

Notre ancien prêvot, qui a déjà subi des tracasseries de l’Official de Cambrai, répond au greffier du promoteur qu’il ignorait jusqu’à aujourd’hui ("jusqu’à paravant être cité") qu’il était défendu de consulter les devins, et qu’on ne peut lui reprocher de l’avoir fait. Encore qu’il n’a pas consulté Benjamin Talon. Celui-ci est bien passé à Iris. Il a demandé à Massel s’il perdait encore de ses chevaux. Voulait-il un remède ? – Non, je m’en remets à la volonté de Dieu.

Après plusieurs "inquisition faictes lung à l’aultre", Benjamin Talon déclara que Jean de Bonneville avait fait "faillir" une fournée de tuiles de Daniel de Gransart, mais il ne déclara pas qui était la cause ou l’auteur de la perte de ses chevaux.

A quelque temps de là, Massel conduisit à Roisel Anthoine Boursier, Sébastien de Lattre, Michel Resteau et Hubert de Bonneville, pour faire recueillir par ces témoins (que le promoteur qualifiera de "quatre simples gens") la déclaration de Benjamin Talon faite à Iris, concernant la fournée de tuiles. Car Jean de Bonneville a intenté un procès à Martin Massel pour calomnie à ce sujet.

Massel croit assurément que tout ce que dit Talon est "mensonge et fault". Il nie avoir causé du scandale en répétant la conversation du devin.

Le promoteur Hénin trouve certaine réponses de Martin Massel bien impertinentes. Ne pas savoir qu’il est défendu de fréquenter les devins,c’est s’accuser de ne pas fréquenter régulièrement la messe de sa paroisse, où cette défense a été répétée souvent. Et puis , Massel "est homme de lecture qui scait et professe scavoir plusieurs aultres poinctz moins necesseres à son salut que celuy present de evocquer les vaudois" ! Il ne pouvait ignorer l’interdiction.

Hénin utilise la réponse "après plusieurs inquisitions faictes lung à laultre" pour prouver que,Massel consultait ledit waudois et devin. Ceci démontre aussi, affirme l’accusateur, la familiarité qu’il y avait entre Massel et le vaudois, qui "presque journellement … conversait en sa maison" (on comprend mal quelle réponse de Massel prouve cela ?) , vaudois à l’école duquel Massel aurait appris à diffamer ceux à qui il veut nuire.

"De toutes lesquelles choses, le scandale a été public en ce pays de Cambrésis" . Au passage, l’accusateur affirme que Massel aurait appelé feu Maître Jean Froissart, curé de Clary, "sorcier" parce que celui-ci avait défendu de rapporter une conversation scandaleuse de son clerc avec une amie de ce dernier.

L’acte d’accusation s’achève par la considération que Martin Massel "est coustumier de mesdire et malparler…des gens deglise", et le rappel de la sentence rendue en 1623 contre lui.

Chose étonnante, il semble que la condamnation de Massel n’ait pas été sévère, si nous comprenons bien la conclusion du rapport de promoteur d’office le 7 décembre1627 :

        "… il se garderait de récidiver à mêmes excès et donnerait meilleure opinion de ses actions, qui demeurent encore sans le blâmer fort suspectes".


SOURCES

  • Clotilde Herbert. Un procès de prétendus hérétiques à Clary en 1623. in : Jadis en Cambrésis N°17.
  • Archives Départementales du Nord, dossier 5 G 556.
  • Muchembled. Sorcières du Cambrésis aux 16e et 17e siècles, in : Prophètes et sorciers dans les Pays-Bas, 16e – 18e siècles. Hachette, 1978.
  • Pierrard. Histoire du Nord. 1978.
  • Trénard L. Histoire de Cambrai. 1982.
  • Boniface (Abbé) . Histoire d’Esnes. 1863.
  • Montigny Henri. Le château de Selles à Cambrai . 1982.

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